24 juillet 2022,
Après l’étape de la veille, je décide de rester une journée à Canet pour profiter un peu de la ville et me reposer. Stella me propose de nous rendre à Perpignan pour que je découvre la ville. Nous flânons un peu dans un centre vide de passants : nous sommes dimanche. Nous nous rendons aux halles Vauban pour nous restaurer, le choix s’arrête sur une poissonnerie munie d’une plancha proposant des produits frais et préparés directement si l’on ne vient pas se servir en matière première. Mon choix s’arrête sur la rascasse que je n’ai jusqu’alors jamais goûtée. Le filet est juste saisi, bien cuit à l’extérieur, presque cru à l’intérieur, laissant apprécier le caractère gras de ce poisson accompagné d’aïoli et de pommes de terres sautées.
Une fois repus, nous reprenons notre balade par quelques photos et acrobaties devant la fontaine de Perpignan. Nous retournons ensuite à Canet pour découvrir le littoral. Il semblerait que toute la population absente de Perpignan se retrouve sur les plages bondées. Après un arrêt chez un bon glacier, proposant de la glace myrtille, wassai (ici présenté sous le nom brésilien açaï), l’après-midi se termine par une longue sieste réparatrice.

Au cours de la soirée, nous échangeons longtemps sur la Guyane que Stella a connue au début du centre spatial. Elle me raconte en quelque sorte l’histoire de Kourou où j’ai grandi, constitué à l’époque d’une unique route. Les Amérindiens vivaient encore dans des carbets et avaient leurs propres petits abattis. Ils se sont vus progressivement obligés de construire en dur et de ne plus pouvoir cultiver, tout cela sans parler de ceux qui se trouvaient dans la zone actuelle du centre spatial. Elle me raconte aussi la construction difficile de la légion qui a été réalisée initialement en saison des pluies : le soir où le béton a été coulé, la pluie a été si intense que la construction s’est écroulée en un tremblement de terre retentissant. Depuis, plus aucun gros ouvrage ne s’est fait durant cette période. Elle me conte enfin l’échec de la première Ariane 5, terminé en un feu d’artifice, également retentissant, qu’elle a vu depuis un site d’observation, évacué en catastrophe suite à l’explosion. S’en est suivi une année de récession ; bon nombre de gens ont quitté la ville, de nombreuses choses venaient à manquer dans les magasins.
25 juillet 2022
Je me lève un peu tardivement, je décide de partir après le déjeuner. Je passe la matinée à écrire et m’occuper de mon blog jusqu’à ce que Stella m’apporte de la farine de petit épeautre. Nous avons discuté pain pendant la matinée et elle s’est souvenue qu’elle avait un paquet quelque part. Elle a également de la levure de boulanger. J’entreprends alors d’en faire du pain. Je commence à m’affairer en lui montrant comment je l’exécute. Je laisse reposer la pâte et lui dis qu’il sera pour elle puisque, au vu des temps de levée, je pense être parti lorsqu’il sera cuit.
Après un déjeuner de pâtes aux crevettes flambées au rhum et une bonne pause, j’entreprends de partir. Stella veut absolument que je parte avec un sandwich, elle m’envoie chercher du pain. Malheureusement les magasins sont fermés à cette heure-ci. Je lui propose donc d’attendre que le pain cuise et de partager celui-ci en deux. Le pain est beau, tout chaud à la sortie du four. Le sandwich préparé je me mets en route.

Je longe la côte jusqu’à Saint-Cyprien et je tombe vite sur un VTTiste qui est parti pour un tour de l’étang de Canet. Nous discutons vélo couché, puis il m’indique un chemin à suivre pour rejoindre l’Espagne. Il me déconseille aussi de suivre la véloroute en passant plutôt par Argelès-sur-Mer, puis Collioure jusqu’à Banyuls-sur-mer, où il me conseille de passer par le col de Banyuls, marquant la frontière, pour éviter la route bien fréquentée qui mène à Cerbère puis à la frontière espagnole.
Nos chemins se séparent et je poursuis vers Argelès. Son front de mer est beau, bien entretenu, une allée bien large et décorée de lauriers roses fait face à la plage. Bon nombre de commerces fleurissent au milieu des lauriers. Arrivé au bout du front de mer je commence à emprunter un chemin qui finalement n’est pas praticable pour les vélos. Un homme sympathique m’indique comment me sortir de cette situation sans faire demi-tour et redescendre les marches d’escaliers que je viens de franchir. Je finis par rejoindre la route et entame une ascension vers Collioure.

Au détour d’un virage je rencontre un cycliste assis au bord de la route, sous un pin devant ce qui semble être un domaine viticole, en train de consommer son sandwich. Quand je vois sa bicyclette, également bien chargée, et lui la mienne, nous nous sourions mutuellement : deux voyageurs vivant tout deux la route se rencontrent. Il me demande d’où je viens, j’apprends que lui vient du monde : François est un vieux globe-trotteur de 66 ans qui voyage depuis 45 ans, il a déjà fait le tour de la terre en stop, s’il n’a pas visité tous les pays il ne doit pas en être loin. Maintenant il erre à vélo, il apprécie ce mode de déplacement différent du stop ou de la marche à pied qu’il a aussi beaucoup pratiquée.

Ayant depuis longtemps rêvé de voyager, il espérait pouvoir exercer un métier lui offrant cet avantage. Il a bien eu une piste pour travailler en temps que steward mais elle a fini par tomber à l’eau. Il a donc décidé de faire du voyage son travail. François a l’allure d’un marginal, on le prendrait facilement pour un clochard. Cependant, malgré son manque de soin apparent, il est lucide, intéressant et est, de par sa vie de vagabondage, une source intarissable d’histoires plus folles les unes que les autres.
Attaché à la beauté du monde, il tente parfois, dans les lieux où il passe, de les nettoyer et entretenir. Il me dit qu’il avait fait le tour des refuges et cabanes d’un massif montagneux, les Pyrénées me semble-t-il, pour les entretenir avec les moyens du bord. Il me raconte que lorsqu’il sillonnait l’Amérique du sud il vivait de troc d’objets fabriqués avec des déchets. Sa grande imagination l’a poussé à fabriquer des masques de protection avec des canettes qu’il fournissait aux ouvriers si démunis que la moindre bricole en toc ne pouvait qu’aider à améliorer leurs conditions de travail. Il a aussi fabriqué des vitres en bouteilles de verre ou plastique : dans la cordillère des Andes, les gens sont si démunis qu’ils n’ont pas suffisamment de moyens pour s’en payer et même s’ils l’avaient, elles finiraient vite par être cassées par les enfants. De la même manière, il a contribué à améliorer la condition de ces pauvres gens. Sa monnaie d’échange dans les transports était simplement de faire rire la galerie avec ses déguisements sommaires bricolés de morceaux de plastique toujours récupérés dans la nature. Il me dit qu’il arrivait à réutiliser l’entièreté des bouteilles plastique pour fabriquer toute sorte de choses. Il faisait aussi beaucoup usage de vieilles chambres à air, souvent comme tendeur ou pour réparer et maintenir en place des objets défectueux.
Je finis par m’asseoir avec lui pour discuter et écouter ses histoires. Il mange un sandwich au boudin noir qu’il a trouvé, toujours dans une idée de « recyclage », dans un magasin avec les promotions d’aliments approchant la date de péremption. Je sors le mien réalisé avec le pain maison et nous échangeons chacun un morceau. Le pain, encore chaud à la confection du sandwich, a fait fondre le fromage et le beurre a imbibé la mie. Le goût quelque peu étrange de la farine de petit épeautre s’en retrouve sublimé et ce sandwich est un vrai délice. Il trouve mon pain très bon et j’apprécie son boudin.
J’apprends qu’il connaît bien Lyon et en discutant mécanique vélo, il me dit qu’il connaît le plus grand atelier vélo solidaire et participatif de la ville : le chat perché, un incontournable. J’apprends aussi que le vieux VTT qui lui sert de monture lui a été donné par Juan Adil, un ancien de l’atelier, connu pour ses distributions de pain de récupération. Son frein avant est rafistolé d’un câble de frein pour maintenir le vieux système dont on ne trouve plus de pièce neuve, lui permettant de fonctionner un peu. C’est évidemment le genre de pièce qu’on trouve à coup sûr dans ce type d’atelier, encore faut-il en trouver un sur la route. Une fois rassasié et le repas terminé, nous nous mettons en route. Je le salue puisque je vais bien plus vite que lui dans les côtes, car son âge ne lui laisse que la force de pousser son vélo.
Arrivé à Collioure je me rends dans le centre qui semble animé puis, après un bref tour, retourne au rond-point de l’entrée de la ville. Je croise François qui arrive tout juste. Nous faisons quelques centaines de mètres ensemble, puis nous nous disons qu’il serait bien de pouvoir profiter de la ville et de se trouver un endroit où dormir tranquillement. Nous tombons rapidement sur une sorte de parc en pente terrassée. Une chapelle surplombe le point culminant le plus au nord, donnant sur la ville et son château plein ouest. Le soleil approchant l’horizon régale nos yeux d’un paysage magnifique. En haut de ce mont se dresse un vieux moulin à vent. Après inspection du terrain, je trouve un endroit proche d’un bout de chemin qui ne semble que très peu fréquenté, donnant de l’autre côté sur une haie de thuyas me séparant de la route. Je place mon vélo au niveau des thuyas, accroche mon hamac devant ; avec sa moustiquaire noire, on ne distingue plus le vélo à faible lueur. François ne me retrouvant pas je lui indique l’endroit où je me suis installé, l’aide à monter son vélo. Convaincu par mon installation, il décide de profiter de ma planque pour camoufler son vélo et ses affaires. Une fois tout arrangé, nous abandonnons nos affaires, les vélos attachés ensemble, pour un petit tour en ville.

Sur le trajet François me donne un tas d’astuces de squatteur, dormir dans les petites cahutes souvent ouvertes dans les vignes autrefois faites pour les saisonniers, dans les toilettes publiques, les cimetières, solliciter les hommes d’église qui ont souvent un endroit pour accueillir le passant. La règle et principe du squatteur étant de ne pas être vu. Il me conte aussi ses mésaventures quand il a été parfois violemment délogé par des types plus intéressés par extérioriser leur colère en violentant de pauvres gens qu’autre chose. Notamment un jour où il a été poursuivi par un type dans toute la ville parce qu’il s’était installé dans des toilettes publiques et qu’il aurait choqué de jeunes filles en finissant par ouvrir la porte, violenté par des jeunes pendant de nombreuses minutes.
Nous nous promenons en ville et en parlant de la Guyane, j’apprends qu’il a été sur place accessoiriste pour le tournage d’un film qui a finalement plus servi à détourner de l’argent qu’autre chose, celui-ci étant finalement à peine sorti. Nous écoutons un petit guitariste gratter puis, plus loin, un orchestre jouer que nous entendions déjà en descendant de notre moulin. Un groupe de gens en ronde danse en musique. Nous continuons notre tour de la ville puis décidons qu’il est temps de nous coucher. En chemin il me montre son poignet arborant une belle cicatrice, souvenir d’un voyou en Équateur qui lui a tranché celui-ci pour lui dérober son sac. Il me dit aussi avoir traversé des zones de guerres, être passé dans une rue où il squattait devenue méconnaissable après l’explosion d’une rangée de voitures piégées, où il aurait pu se trouver s’il n’avait pas eu la chance des circonstances. Cet homme a vécu tant de choses que tout cela semble difficile à croire et pourtant, le simple fait qu’il me fournisse suffisamment de détails sur Lyon ou les Andes où je suis aussi passé me suffit à me conforter dans l’idée que cet homme a vraiment une vie hors du commun.

Arrivés au hamac, François prend de quoi dormir dans un coin pendant que je m’allonge dans mon hamac. Des jeunes montés au moulin braillent et crient en rappant à moitié sur des instrumentales de rap que l’on distingue au loin. Ce n’est pas suffisamment fort pour me déranger longtemps et je finis par rapidement m’endormir. Aux alentours de deux heures du matin, je me réveille. J’entends quelqu’un ou quelque chose qui fouine juste à côté de moi, du côté du vélo de François. Alerte, je commence simplement par écouter et je finis par me rendre compte que c’est François. Ne sachant pas ce qu’il est en train de faire je continue d’écouter. Je finis par me manifester, il me dit qu’il a faim et qu’il cherche le reste de son sandwich dans ses affaires. Je l’aide à la lueur de la lampe de mon portable que j’éteins une fois qu’il a récupéré ce dont il a besoin puis je me rendors.
2 réponses à “Canet-en-Roussillon – Collioure”
Bonjour
Je suis un ami de François , je l’ai rencontré en stop en Californie en 1981 , il est venu me retrouver en 82 en Centre Afrique après avoir traversé la jungle pendant plusieurs semaines en vivant avec les pygmées. Depuis il voyage et on ne sait jamais quitté de vue. Parfois il se repose à La Croix Rousse chez moi .
Tout ce qu’il raconte est vrai il y aurait matière à faire un livre … une anecdote parmi tant d’autre . Il y a une vingtaine d’annee dans une déchèterie sauvage à Nantes il trouve un tracteur en plastique cassé , le répare et vient en stop à Lyon le gros tracteur sous le bras l’offrir à mes filles …parmi tous les jouets neufs se fût un des plus appréciés.
Profite de ton voyage
Eric
Un livre par continent et peut-être même par pays dans certains cas. Mais oui, j’ai passé suffisamment de temps avec lui pour me rendre compte que tout cela n’a pu être inventé.