Draguignan – Lyon, le début de l’histoire


L’heure est venue, je claque l’écran de mon PC que je m’empresse de ranger dans ma sacoche de vélo avant de quitter la maison. Le casque sur la tête, les deux sacoches d’une main, une caisse de vin de l’autre. Je me dirige rapidement vers une station de vélo en libre-service qui me permettra de rejoindre le point de rendez-vous de mon covoiturage. Le timing est serré, il me reste une demi-heure.

Il n’y a plus de vélo disponible. Je me résous à rejoindre une artère principale qui me permettra de prendre un bus et rejoindre un métro. Le prochain bus est dans un 25 minutes. Je suis fichu, je n’arriverai jamais à temps. C’est une course folle qui se lance pour rejoindre le métro en trottant comme je le peux : je suis très chargé. Je contacte à plusieurs reprises mon chauffeur pour le tenir au courant de mon avancée. 500m du métro, je suis à bout de force. Je demande de l’aide à un passant, étudiant infirmier, qui m’aide à transporter mes sacoches jusqu’au métro. J’arrive enfin au point de rendez-vous en nage avec finalement vingt minutes de retard. Je monte dans la voiture, mon corps se relâche entièrement, je me sens léger, je sais et sens que le voyage se passera bien.

Les deux amis qui nous conduisent, une jeune Sallanchoise et moi, sont fort sympathiques. Les discussions vont bon train, l’un d’eux a acheté un terrain au Mexique et projette de construire une maison pour s’installer sur ce beau continent américain. Arrivé à la Croix-Valmer, je leur fais cadeau d’une bouteille de Cerdon que j’ai eu tant de mal à acheminer pour les remercier.

Je retrouve Yohan qui me conduit sur la colline de sa grand-mère Mireille. Arrivé sur le terrain, il fait nuit, le ciel est clair. La lune aidant je découvre la vue imprenable sur la Méditerranée, les lumières de Cavalaire et le phare de l’île du Levant. Installé sur le canapé d’un salon d’extérieur improvisé, je me restaure en compagnie de Yohan, sa cousine et deux de ses amies. La nuit est belle, je profite longuement de sa fraîcheur et de ce cadre paisible avant de nourrir mon levain et de préparer une pâte à pain pour le lendemain.

7h du matin, réveil matinal, j’ai assez de temps devant moi pour façonner le pain et descendre à la mer avec Yohan. Une houle légère stimule l’éveil de nos sens dans cette eau fraîche. Après quelques brasses, je reprends pied sur terre, plein de vie, titubant d’allégresse. Retour sur la colline, nous faisons chauffer le four le temps de nous dessaler et nous enfournons le pain avant de me mettre au travail.

Je finirai ma journée de travail installé sur un bureau improvisé au milieu de la forêt de pins provençaux et de chênes-lièges qui peuplent le terrain de la maison. Une brise fraîche souffle et vient adoucir ce temps sec à l’approche du solstice d’été.

Entre boulange, cuisine, hamac, et vagabondage de l’esprit, je passerai le reste du week-end à profiter de ce cadre calme et idyllique que seule vient perturber l’agitation des habitants de la maison.

Arrivés à Draguignan, l’esprit léger, au son du balafon, nous nous arrêtons au point de rendez-vous. Le vélo couché que je projette d’acheter est là. D’un bleu aussi clair que le ciel, il invite à l’envol. Après quelques coups de pédale, un essai par Yohan, je décide de le prendre et d’entamer mon retour à Lyon avec ma nouvelle monture. J’attaque immédiatement une longue ascension en direction du Vaucluse. Première chute, due au manque d’équilibre à faible vitesse, lors de l’ascension du col de la Grange. Reprise de l’ascension après avoir réglé mon guidon qui a bougé durant la chute. Ma course s’arrête à Ampus. Je tombe sur une belle auberge, pleine de vie, avec quelques tables en terrasse. Une table de Parisiens, curieux de cette étrange machine, me questionne et me recommande le restaurant. La nuit commencera à tomber d’ici peu, je demande à la serveuse si elle connaît un endroit où je pourrais installer tranquillement mon hamac. Elle ne sait pas, mais m’assure qu’une solution sera trouvée. Je m’installe donc, non loin de la famille parisienne et observe. J’opte pour le plat du jour qui est un poulet en sauce à la morille excellent, fort appréciable après cette belle mise en jambe. Arrivé au dessert, puis digestif, la serveuse m’indique un endroit où je pourrai installer mon hamac soufflé par un ancien du village assis à une autre table. Au moment de régler, je le salue, le remercie et entame une discussion avec lui. Ancien cycliste, il est, comme beaucoup de gens, intrigué par mon vélo. Parent des propriétaires du restaurant, je finis naturellement par échanger avec eux. Après un long débat sur le lieu le plus approprié pour m’installer, les propriétaires du restaurant finissent par me proposer d’accrocher mon hamac dans leur petit jardin. Allongé dans mon hamac, je m’endors comme une masse.

6 coups, il est 6 heures du matin, je suis bien éveillé, je range mon paquetage. Les sacoches positionnées sur mon vélo, je sors par la petite porte du jardin donnant sur une impasse, laissée ouverte. Ce village perché est joli et j’entreprends d’en faire le tour avant de reprendre la route. J’entame mes premiers kilomètres, toujours en ascension plus ou moins régulière. Je m’approche doucement de la grande zone militaire du Verdon, sur une petite route qui plus loin la longe pendant quelques kilomètres. Le paysage est alors un mélange de prairies sauvages laissant place à des forêts. Mes yeux s’arrêtent sur l’une de ces prairies dans laquelle j’aperçois de nombreux bouquets de millepertuis dispersés. Il doit alors être 8h, le soleil est encore bas, c’est le moment idéal pour une cueillette.

Cueillette de millepertuis

Une heure et une vingtaine de kilomètres plus loin, lac de Sainte-Croix, toujours aussi magnifique, d’un bleu très clair, je ne résiste pas à l’envie de me jeter dedans. Après m’être largement éloigné de la rive, je m’allonge en planche et laisse le soleil chauffer les parties de mon corps faisant surface. Ce lac encaissé entre les nombreux monts l’entourant teint mon visage d’un sourire béat de cette vision de rêve. Au sortir du lac je me sens purifié, fort d’une nouvelle énergie, je reprends la route. Après un sandwich en guise de petit-déjeuner, je cherche activement un endroit où je pourrais m’installer pour résoudre un problème important survenu au travail. Je m’arrête dans le hall d’un petit hôtel à côté d’un réfrigérateur, seul endroit où j’ai une prise à disposition. Une fois résolu, je remercie la femme tenant l’accueil par un petit bouquet de millepertuis avant de reprendre la route. Plus j’avance, plus j’ai la sensation d’être à ma place, que la route me porte vers de merveilleux paysages, elle m’appelle et je lui réponds d’un rire franc, joyeux. Le Vaucluse est beau.

Je n’ai plus d’eau, il fait chaud, il doit être pas loin de midi quand j’aperçois un ancien en bord de route, sous un parasol, vendant du miel et de la lavande. Il est excellent, je lui en prends deux pots et lui demande un peu d’eau. Il m’indique une fontaine qui coule à côté de sa jolie maison. En passant sous les tilleuls menant à la fontaine, une nuée de papillons blancs s’envole de l’arbre transformant mon champ de vision en paysage féerique. Je m’abreuve à la fontaine où mes amies abeilles se rafraîchissent et emplis ma gourde. Apprendre ensuite par l’apiculteur que tous ces papillons sont des pyrales du buis est venu éclairer l’imperfection de ce tableau. L’heure du déjeuner a sonné, je m’arrête chez Dédé à l’entrée de Valensole, un pizzaïolo dans un petit camion face à une petite terrasse semi-ombragée. En guise de dessert je monte dans les cerisiers de son grand-oncle juste derrière le camion et me régale de ses cerises avec un léger goût acidulé sur place et emplis une poche de ma veste en bon écureuil. Je lui en propose quelques-unes qu’il refuse de bon cœur : il montera les cueillir lui-même quand l’envie lui prendra. Alors, j’en fais don à un couple d’Allemands installé à une autre table. Le soleil tape, je roule depuis une heure et demie, je traverse l’Asse, un affluant de la Durance et décide de me jeter dedans tout habillé : cela ne pourra que laver mes habits trempés de sueur et me rafraîchir pour les prochains kilomètres. Forcalquier, je sens que je m’approche doucement de ma destination : Saint-Christol d’Albion où je dois rejoindre un couple d’amis. Les ascensions se succèdent et Manu Chao m’accompagne sur la « carretera », la dernière côte est particulièrement éprouvante. C’est avec un sentiment d’accomplissement, les traits tirés, que je sonne chez mes amis.

8h du matin, il est temps de façonner le pain préparé la veille avant de m’écrouler dans le lit. Je déjeune en compagnie de Fred en attendant la seconde levée. Adepte de cyclisme, la discussion prend évidemment ce chemin avec celui du voyage en toile de fond. Véro prépare une salade de tomates pour le midi, dont elle m’offrira une portion pour la route, pendant que je m’active près du four. Je l’accompagnerai d’un morceau de pain fraîchement sorti du four. Je reprends la route dans une forme étonnamment bonne après les 150 km de la veille. Je fais des réserves de nougat à la porte du Ventoux : Sault. Au vu des étapes qui m’attendent je décide une fois encore de laisser l’ascension du Ventoux à plus tard.

Frontière du Vaucluse et de la Drôme, nous sommes arrêtés par des ouvriers qui refont la route. Un groupe de cyclotouristes et motards m’entoure et me questionne à propos du vélo, sa prise en main, maniabilité, confort, etc… Si le départ n’est pas facile et la position inhabituelle, ce vélo est étonnement stable et très confortable. La prise en main a pour moi été très rapide mais, comme toute chose, la maîtrise nécessite un peu plus de persévérance. On nous laisse enfin passer, la roue s’emballe, la route dévale, je flirte avec la frontière du Vaucluse et de la Drôme en longeant le Toulourenc qui court le long de la face nord et abrupte du Ventoux. Je fais le plein de fruits du soleil chez un maraîcher en bord de route qui m’indique Brantes comme arrêt sympathique pour un pique-nique. Au passage du col des Aires, je croise un essaim de grosses voitures lancées à grande vitesse immatriculées en Hollande ; ce n’est pas le premier de ce genre, à croire que les Hollandais ont les moyens ! Brantes, une femme ayant remarqué ma recherche, tenant probablement la petite crêperie que je viens de passer, m’interpelle et m’indique un joli endroit où consommer mon pique-nique. Au réveil d’une micro-sieste, je vagabonde dans les ruelles de Brantes à m’émerveiller devant le Ventoux et la beauté de ce village perché devant ce géant.

Brantes

Buis-les-Baronnies, les gorges d’Ubrieux, en son lit coule l’Ouvèze, d’un bleu chargé d’argile blanche. Je gare ma bicyclette, traverse la route et me retrouve face à une petite chute d’un demi-mètre sous laquelle je viens évidemment me rafraîchir. Deux jeunes font des acrobaties et s’essayent au poirier. J’engage la discussion et me prête à leur jeu en partageant quelques expériences venant du yoga à ces fins acrobates escaladeurs. Cette belle rencontre me laisse un joli sourire intérieur, la France est belle, emplie de belles âmes. Ascension du col d’Ey, je prends le temps d’apprécier la vue sur la vallée de Sainte-Jalle, échange quelques mots avec une cycliste de la région à VTT, qui semble aussi prendre le temps. Sainte-Jalle, jolie petite ville que j’affectionne sans réellement savoir pourquoi, peut-être est-ce mon passage deux ans plus tôt dans un restaurant donnant sur l’Ennuyé et les rencontres en découlant. J’espère que l’Ennuyé ne stagne pas !

Je me dirige vers Eyroles, village perché en haut d’une crête, l’ascension se fait par un petit chemin sillonnant les champs d’oliviers typiques de cette région. Manu Chao m’accompagne à nouveau sur cette petite route où ne passe guère plus d’une voiture. A un kilomètre du village, je fais la rencontre de Pek, assis sur le rebord de la route en pierre. On dirait qu’il m’attend, avec ma bicyclette fanfaronnant. Je baisse le son puis m’arrête et commence à échanger avec lui. Il descend à pied rejoindre la départementale plus bas où l’on doit venir le chercher pour assister à une réunion à Nyons. Il ne se déplace qu’à vélo, courageux pour son âge, surtout au vu de l’emplacement du village. Il est très intéressé par mon vélo couché, souhaite échanger plus longuement avec moi et m’offre alors l’hospitalité. Il m’indique sa maison qui se situe à la sortie du village, un petit chalet agrémenté d’un petit coin de jardin où trônent quelques transats. Après avoir rempli ma gourde dans une fontaine du village je m’installe sur la terrasse du chalet afin de recharger mon téléphone, déguster quelques morceaux de nougat, profiter de la belle clarté de cette fin d’après-midi qui m’emmènera flirter quelques minutes avec Morphée. Au réveil je contacte une amie que je dois rejoindre en fin de journée le lendemain et décide, en lui contant ma rencontre avec Pek, de reprendre la route pour avancer un peu plus : j’ai encore de nombreux kilomètres à parcourir et je n’aurai finalement que peu de temps à partager avec Pek.

Ascension vers Eyroles

Je dévale la côte qui m’amène avec surprise et joie aux magnifiques gorges de Trente Pas qui se terminent par l’ascension du col de la Sausse. Les lueurs du soleil approchant des crêtes baignent la vallée du Roubion d’un jaune dense et léger à la fois. Quelques kilomètres plus loin, arrivé au cœur de Bouvière, petit village d’ordinaire tranquille, se déroule un petit marché de producteurs en ce mardi soir. Il se dégage une atmosphère festive et conviviale ; la décision est prise, je passerai la nuit dans ce village, je ne sais pas encore comment, mais c’est une certitude, une évidence. Mon intérêt pour les plantes me porte naturellement vers le stand d’une adepte de la cueillette des simples sauvages, réalisant ses propres mélanges pour infusions ainsi que de jolis sirops. Je découvre que ce marché a lieu tous les mardis soir et qu’il est accompagné d’une animation musicale. Elle m’indique le camping du village et je conclus notre échange par l’achat de sirop de mélisse et de thym. Je profite alors des dernières lueurs du jour pour attacher mon hamac au camping avant de revenir à ce lieu de fête.

Vallée du Roubion vue depuis le col de la Sausse

Je commence à me restaurer de beignets de pois chiches tout juste sortis de l’huile bouillante, vendus par un ancien très souriant, voisin du stand de Maxime, un brasseur du coin et en face de Fredo, un boulanger aux allures de rasta qui, comme moi, a l’habitude de voyager avec son levain. Accompagné d’une fougasse aux olives de Fredo, je m’amuse des poèmes extravagants imprimés sur les bières vendues par Maxime. Maxime est un curieux personnage avec qui je sympathise rapidement. Au milieu des bières se détachent de petits flacons d’huiles essentielles qui sont en fait des élixirs de plantes qu’il distille. Il m’invite à plonger la main dans un sac en tissu dans lequel une soixantaine de flacons différents reposent. Défiant les probabilités, je tombe sur l’élixir de nénuphar blanc : je suis le sixième du jour. De longues discussions autour des plantes, de leur symbolisme, s’engage autour de bonnes bières dont certaines me seront offertes. Je finis naturellement par montrer à cet « alchimiste » ma cueillette de millepertuis. Il me dit que je l’ai cueilli au meilleur moment : le lendemain ce sera la Saint-Jean, période où elle acquiert le plus de « force ». Il me fait goûter son élixir de cette même plante qu’il trouve exceptionnel, puisqu’à la première distillation le liquide atteint les 72° alcooliques, ce qui est le « graal » pour un distillateur.

La soirée se poursuit au joyeux son du trio composé d’un banjo, d’une clarinette et d’une contrebasse sous le signe du partage : c’est l’occasion de sortir le melon acheté en début de journée que je ne pourrai guère terminer seul. Il est excellent, profite à Maxime et aux artistes après leur numéro et se trouve être le premier melon de l’année pour tout le monde ! La soirée se poursuit, je fais la connaissance de Brice et Fred, ainsi que d’autres organisateurs de l’événement au travers d’une association. Ils me sollicitent pour achever le fut de bière ! La température baisse, il commence à se faire tard, Fred propose d’embarquer un pichet de bière et de le terminer tranquillement chez lui : il habite à deux pas. J’accepte et nous nous retrouvons chez lui en compagnie de Brice. Retraçant mentalement mon étape du lendemain pendant que Brice et Fred échangent à propos l’organisation des marchés, je me rappelle soudain que je vais passer aux alentours de midi à Eurre où deux amis se sont récemment installés. Je lance une bouteille (électronique) à la mer en leur proposant de déjeuner ensemble si d’aventure ils étaient sur place. Cette soirée bien arrosée se termine par une invitation de Fred à dormir chez lui. Nous faisons le tour de sa maison étonnante : il vit dans un ancien moulin dans lequel subsiste encore un ancien tamis gigantesque dans l’une des salles, accroché au plafond. N’ayant pensé que tardivement à nourrir mon levain, je ne pourrai préparer du pain pour le lendemain mais simplement le maintenir en vie.

Réveil, légèrement vaseux, après une nuit chargée de rêves. Je descends à la cuisine où j’entends quelqu’un se doucher. Laurence, la compagne de Fred, que j’ai croisée la veille, finit par sortir de la salle de bain et me propose un petit déjeuner que j’accepte un peu gêné devant tant de générosité. Nous échangeons un moment avant le réveil de Fred qui finit par arriver. Nous discutons encore un bon moment avant de faire la connaissance de leur fils. A l’heure du départ nous échangeons nos contacts, notamment pour être maintenu au courant d’un festival qui sera probablement organisé par l’association fin août. Une belle rencontre, vraie, simple, évidente. Je rassemble mes affaires et trouve sur le palier dans la rue un de mes shorts qui s’est échappé au moment de rentrer mon vélo dans le jardin la veille. Je passe récupérer mon hamac au camping qui n’aura pas servi et discute un moment avec un campeur, jeune retraité, qui sillonne la France. Il a pas mal voyagé à vélo étant plus jeune et me questionne à propos de mon vélo couché, comme la majeure partie des gens. Finalement ce vélo relève presque de la curiosité et se transforme en vrai instrument à tisser du lien.

J’entame mon trajet quotidien sur une belle cadence afin d’arriver à Eurre à l’heure du repas. Accompagner le cours du Roubion avec la fraîcheur du matin est vivifiant et me fait grand bien après une telle soirée. J’arrive rapidement à Eurre où je retrouve Mélia et son coloc Thomas. Je suis content de les voir. Après une bonne douche je me lance dans la préparation d’un repas de légumes que nous partageons dehors à l’ombre des arbres. Pour terminer, une infusion de sauge accompagne la digestion et s’accorde parfaitement avec celle contenue dans le plat. Je finis par me remettre en route après avoir nourri et partagé mon levain.

Arrivé dans la plaine du Rhône, je teste l’efficacité du vélo sur le plat : j’ai traîné un peu chez Mélia, le temps commence à se faire menaçant, il serait bon que j’arrive à Tain l’Hermitage en début de soirée avant que l’orage qui s’annonce ne me tombe dessus. J’avance rapidement et m’approche bientôt de ma destination. Je profite d’une pause hydratation pour à nouveau mettre un album de Manu Chao et rythmer ma cadence.

C’est alors qu’à quelques kilomètres de Tain l’Hermitage éclate un violent orage, le vent souffle, la pluie diluvienne tombe à grosses gouttes à 45 degrés, et vient rapidement brouiller ma vision au travers de mes lunettes jaunes. Je les enlève et les accroche au cou, à mon maillot. Le tonnerre gronde, la pluie se charge de petits grêlons que je vois rebondir sur mes mollets, je suis en plein milieu d’une plaine sans aucun abri pour me réfugier. Je suis trempé, je continue d’avancer en musique et pris d’une nouvelle énergie j’éclate de rire au centre de cette scène aux airs de déluge apocalyptique dont je semble faire partie intégrante. Des voitures me dépassent régulièrement, l’une d’elles ralentit pour rouler à ma hauteur et me demander si je vais bien. Je lui fais signe que tout va bien. La pluie finit par se calmer au bout d’un quart d’heure. J’arrive à Tain l’Hermitage et m’arrête à un feu pour vérifier ma trajectoire. Je dois rejoindre mon amie au milieu des vignes de l’Hermitage dans une exploitation où elle travaille en semaine. Un homme m’indique et me confirme le chemin à suivre et m’aide à reprendre la route au plus vite en arrêtant la circulation pour profiter de l’accalmie.

J’entame l’ascension des collines de l’Hermitage, la pluie reprend, pas trop fort au début, puis finit par s’intensifier et repartir en une pluie de grêlons, bien plus gros cette fois-ci. Je trouve un abri de bus bien fermé pour m’abriter le temps que l’orage se calme un peu. Je suis à 500m de ma destination. Une fois les grêlons passés je reprends la route sous la pluie. Les petites routes que je prends se sont transformées en torrents où l’eau s’écoule à grande vitesse. Au détour du dernier virage j’aperçois un groupe de gens abrités sous un hangar devant lequel je viens garer ma curieuse machine endiablée.

J’aperçois rapidement Anik qui vient me saluer et m’embrasser. Un de ses collègues me propose de goûter son mojito pour me réchauffer puis je me joins à la joyeuse tablée. Encore réchauffé par l’effort je me sens bien, mais Anik remarque rapidement que je finis par trembler de froid et me propose une douche chaude. La sensation de l’eau chaude s’écoulant le long de mon corps est exquise, je me sens revivre. Je suis arrivé dans une oasis. Anik me propose d’aller s’installer dans la caravane qui lui sert de chambre en semaine pour dîner et échanger plus tranquillement. La fin de mon voyage approchant je lui conte mes aventures puis nous partageons un repas simple et bon. La soirée se termine par une balade dans les vignes et une séance d’étirement sur une grande nappe au milieu des herbes folles. C’est la nuit de la Saint-Jean, nous contemplons quelques instants une belle pleine lune venue relayer le soleil. Ce fut une douce soirée et je m’endors dans cette caravane qui aura été pour moi un refuge au cœur de la tempête.

5h du matin, je me lève peu avant le réveil d’Anik : ses journées commencent tôt. J’en profite pour assembler quelques-unes de mes victuailles en un petit-déjeuner improvisé de nougat, fougasse et miel. Anik finit par me quitter pour rejoindre les vignes après une embrassade. Je profite de ces quelques instants seul dans cette caravane pour observer le réveil de la nature et de quelques foulées dans les herbes folles entourant le terrain où sont installés tente, caravane, camions aménagés, qui servent de campement aux travailleurs. Après avoir assemblé mes affaires je remonte chercher mon vélo et échange quelques mots avec un vieux monsieur qui semble habiter la maison accolée au hangar où repose mon vélo.

Dernier jour de voyage, je prends la route de l’Hermitage et me dirige vers Bren. Je passe par Chantemerle les Blés, petit village dont j’apprécie particulièrement le nom, joliment imagé. Je m’arrête à plusieurs reprises pour cueillir le millepertuis en des endroits peu fréquentés par les voitures. Mon chemin m’amène à Marsaz où une élue de Hauterives, candidate aux élections régionales qui ont lieu prochainement, tracte et m’interpelle. Intriguée par mon vélo bleu clair qui rappelle celui de ses habits, traduisant évidemment son orientation politique, elle me pose les questions désormais habituelles à son sujet et me dit qu’elle œuvre pour le développement du vélo dans la région. Elle a pour idée de proposer un parcours alternatif à la ViaRhôna qui suivrait le trajet de la départementale 538. Je lui propose d’essayer le vélo afin qu’elle découvre et goûte à l’assise fort agréable de l’engin. Elle profite de cette occasion pour prendre une photo. Je finis par reprendre mon chemin avec une sensation étrange ; bien que fort sympathique, le regard de cette femme m’a troublé : il m’a semblé vide ou distant, je ne sais pas. Comme s’il me traversait, qu’elle ne me regardait pas réellement, en quelque sorte désincarné.

Je m’arrête à Hauterives dans un restaurant et me régale d’un déjeuner composé d’une caillette accompagnée d’un gratin de ravioles. Ces saveurs rappellent les souvenirs de repas de famille chez mes grands-parents romanais. Au moment où je décide de reprendre la route après une infusion de millepertuis fraîchement cueilli, une belle averse d’orage démarre. Je patiente le temps qu’il passe puis me remet en route. J’enchaîne les côtes pour franchir les derniers monts qui me séparent de Lyon. Au détour d’un virage mon regard se pose sur un terrain en lisière de forêt où pousse de la reine des prés. Je m’empresse de garer ma bicyclette avant de procéder à la cueillette d’un bouquet qui sera agrémenté de salicaire qui pousse aussi sur ce terrain manifestement bien irrigué.

Bouquet de Reine-des-prés et Salicaire

A l’avant-dernière côte je décide de prendre un chemin de forêt pour redescendre du mont afin de tester la tenue de route de l’engin sur chemin. Il s’avère que le chemin est très caillouteux au milieu des arbres, de grosses racines traçantes forment de grosses bosses sur le chemin qui ressemble sensiblement au lit d’un torrent. Il doit être bien en eau durant les épisodes pluvieux. La progression n’est pas facile, je chute une fois, pas de dégât, ni blessure à déplorer. Mon guidon a à nouveau bougé pendant la chute, ce n’est pas étonnant et même préférable puisque cela devrait limiter la casse. Je prends le temps de le régler et reprends ma progression plus assis que couché pour gagner en stabilité, visibilité et pouvoir m’aider de mes jambes pour faciliter ma progression. Au sortir de la forêt, je suis content de retrouver la route. Le test aura été poussé et concluant !

Chemin forestier accidenté

Après un dernier arrêt dans une boulangerie de Valencin, je quitte définitivement la campagne pour rejoindre Montchat, petit quartier résidentiel de Lyon, et entame une longue traversée de l’agglomération lyonnaise qui me paraît interminable. La quiétude et la verdure de la campagne me manquent déjà, mais c’est avec un sentiment d’accomplissement que je rejoins enfin la maison, entier, avec ce nouveau vélo qui aura déjà parcouru pas loin de 500 km en ma compagnie. Le début d’une belle histoire qui n’attend que d’être contée.

Quelques mots assemblés ensemble pour la beauté de

Sur la route aux premières lueurs nous sommes éveillés, poussés par un vent céleste vers notre destinée. Il est temps d’étancher la soif de l’inconnu et laisser l’espace aux nouveaux venus. Le cœur battant d’euphorie et fibrilant de mélancolie, continue d’animer nos corps qui jamais ne se parent de remord. Guidés par le levant, nous continuons de l’avant, marchant sur notre plus beau chemin, qui ne peut qu’être sien. Fier de notre courage, nous embarquons vers d’autres rivages. Le cœur gros en décrochant les cordages, est le contenu d’un trésor qui soulage, celui de l’avant et après partage.


2 réponses à “Draguignan – Lyon, le début de l’histoire”

  1. Olá, sou o Mário de Lagos, Algarve. Encontrámo-nos hoje quando estavas a chegar à Praia da Salema. Gostava de te enviar umas fotos que tirei. Diz-me qual o teu e-mail.
    Desejo-te uma boa viagem até Lisboa. Se resolveres regressar ao Algarve, tens aqui um porto de abrigo 😉. Um abraço.

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