29 Août 2022,
J’entame ma première journée à Vilarcangel. Je rencontre dans la cuisine la seconde Carol que je n’ai pas croisée la veille. Après avoir déjeuné, je me décide à faire du pain, j’ai trouvé de la levure boulangère ainsi que de la farine blanche dans le garde-manger. Je ramasse quelques brins de romarin pour agrémenter la farine blanche que je n’aime pas utiliser seule quand je n’ai que cela à disposition. La pâte préparée, je laisse reposer et prends le temps d’échanger avec Carol. Elle me dit que d’habitude un repas collectif est préparé par un habitant de la maison, cependant vu la soirée de la veille, chacun se fera à manger quand il émergera. Nous décidons avec Carol de préparer cette fois-ci une vraie ratatouille en quantité suffisante pour que les habitants de la maison puissent se servir quand ils émergeront. Le plat est prêt juste après le pain qui accompagnera celui-ci. Le pain a un franc succès auprès des habitants qui tapent allègrement dedans au fil des allées et venues en cuisine.

J’ai gardé un morceau de la pâte du pain pour essayer de démarrer un levain. Je constate après le repas qu’il se porte bien et semble très actif. J’envisage alors la possibilité d’en refaire dans l’après-midi. Carol me propose d’aller se promener le long du fleuve, l’idée d’une balade digestive me plaît, nous sortons donc de la propriété par la porte de derrière et empruntons un chemin traversant d’autres orangeraies. Nous longeons le fleuve jusqu’à ce que le soleil ressorte des nuages,nous intimant de rentrer doucement si nous ne voulons pas brûler sur place.

Arrivé à la villa, je constate que mon levain se porte bien et décide de lancer un nouveau pain aux graines de tournesol et curcuma. Une fois la pâte prête, je pars me rafraîchir dans la piscine, nous discutons. Je retrouve ensuite Carol dans la cuisine avec qui je discute jusqu’à l’heure du repas. Je travaille la pâte une seconde fois puis nous faisons chauffer une très bonne soupe de courge du jardin qu’a réalisée Carol la veille, nous l’accompagnons d’une salade de tomates et du pain au romarin. La seconde Carol nous rejoint, et se joint à nous autour de la table du salon hangar. Quelques temps plus tard un couple de Polonais, invité à la maison également par Ulise, arrive et nous rejoint autour de la table. Le reste de la maison vaque à ses occupations, certains encore fatigués de la veille.
Je m’éclipse un instant pour enfourner le pain. Dani entre alors dans la cuisine et réfléchit à son repas. Nous faisons connaissance puisque je n’ai pas encore eu l’occasion de parler avec lui. Il me dit que mon pain est très bon. Je lui explique mon voyage, lui parle de mes idées futures de boulange et il me dit alors de rester vivre avec eux. Il est vrai qu’avoir un boulanger à la maison est bien pratique, je lui dis alors que je vais avoir besoin d’un four à bois si je m’installe. Il me répond en souriant qu’on peut le construire, ce n’est pas la place qui manque. En tout cas il est intéressé par l’idée et aimerait apprendre à en faire, naît alors l’idée d’organiser un atelier boulange pour le lendemain.
Après avoir sorti le second pain, nous retournons ensuite dans le salon hangar alors occupé par les deux Andrea : une habitante de la maison et l’autre est son invitée italienne qui comprend l’espagnol mais communique en anglais. Elles ont aussi beaucoup apprécié le pain et me remercient. Dani s’installe dans un canapé et commence à gratter les cordes d’une des guitares en alternant chant en espagnol et portugais, sur des rythmes légers type bossa nova. Je m’essaye au chant que Dani arrive à accompagner et même rythmer avec sa guitare une fois qu’il a saisi la mélodie. Nous passons un super moment, il ne reste plus que les deux Carol et Dani au salon, les autres étant tous partis se coucher. Nous terminons la soirée par un « concert » de gong ou percussion métallique que nous réclame la Carol qui m’a accueilli à la maison. Nous rejoignons l’espace dans de détente, les deux Carol s’installent confortablement, l’une sur un matelas, l’autre en chien de fusil sur un pouf. Je m’installe en face de Dani qui me présente les instruments à ma disposition pour frapper les différentes percussions et les boules tibétains. Je commence par essayer de faire vibrer un gros bol avec un maillet entouré de feutre, sans succès alors je me rabats sur les plaques métalliques que je fais vibrer d’un coup de maillet entouré de caoutchouc et le xylophone. Je ressaye le bol plus tard une fois que j’ai observé Dani qui l’utilise et je finis par parvenir à le faire vibrer. Le bruit des percussions semble apaisant puisque les filles ont l’air bien endormies. Le concert terminé chacun part se coucher, apaisé par le son des instruments.
30 Août 2022,
Je vérifie l’état du levain que j’ai multiplié la veille en prévision de l’atelier pain du jour. Il me paraît bien, je le nourris à nouveau pour en avoir une quantité suffisante. Carol arrive à la cuisine, elle m’avait proposé d’aller à la plage avec elle mais finalement l’heure est trop avancée pour cela. A défaut elle me demande si je veux venir l’aider à faire les courses pour la maison. J’accepte et nous partons en voiture à Alcira, d’abord dans une coopérative de maraîchers. Une partie de la production d’oranges de l’orangeraie est fournie à cette coopérative en échange de fruits et légumes pour compléter ce qui n’est pas produit par le jardin potager dont s’occupe Carol. Comme ils ont une surproduction de courgettes et aubergines, elle en profite pour demander s’ils ne pourraient pas laisser une ou deux caisses ponctuellement. A la fin de l’année, un compte sur les quantités d’oranges fournies et les légumes consommés par la maison est fait pour ajuster le manque à gagner de la coopérative ou inversement.
Nous commençons tous deux à avoir faim, Carol propose alors de s’arrêter dans un bar prendre l’almuerzo, composé d’un sandwich et d’une boisson fraîche puis d’un thé. Nous continuons par un arrêt dans un supermarché puis dans une pharmacie pour acheter un test Covid à Andrea qui est malade. Je trouve devant la pharmacie une sorte de marché aux vêtements où je trouve un lot de paires de socquettes qui tombe très bien pour remplacer une de mes paires qui commence à être usagée.
Nous arrivons à point nommé à la villa où Gilles, le woofer belge longue durée, s’affaire en cuisine. Il a sorti un gros brûleur qui chauffe une énorme paella où grillent des légumes de la fideua (une paella de pâte). Je lui demande s’il veut de l’aide. Il commence par refuser puis me dit que je peux découper les champignons de Paris, que nous venons d’amener, en 4. Il écarte les autres légumes qui ont déjà eu le temps de cuire sur l’extérieur de la paella qui ne chauffe que modérément. Ensuite il dispose les champignons au centre avec de l’huile d’olive pour les faire revenir et réduire. Une fois les champignons cuits, il les place également sur les rebords et jette une belle quantité d’ail hâché au centre de la paella dans un bain d’huile d’olive qu’il transforme en sorte de pâte semi-liquide en ajoutant un grande quantité de paprika, beaucoup utilisé dans les plats espagnols. La dernière étape sera de faire cuire les pâtes dans la paella en utilisant un bouillon de légumes composé d’une ou deux carottes et pommes de terre accompagné des parties encore vertes des épluchures des légumes.
Carol me propose de faire quelques exercices de yoga, nous enchaînons quelques positions, ayant pour objectif d’ouvrir le torse, puis elle s’en va se rafraîchir une fois la séance terminée. Je me sens encore plein d’énergie et ressens le besoin de me dépenser encore, par des exercices de mouvement naturel, afin de continuer à suer à grosse goutte. Je finis par être trempé de sueur avec la chaleur, je pars donc me rafraîchir dans la piscine. En sortant de l’eau il est l’heure de s’attabler, on m’indique que si l’on veut manger dans la paella, il faut se mettre en bout de table sinon on sera servi dans une assiette. Je m’installe donc de manière à « taper dans le plat ». La paella emplie de fideua arrive en même temps que les 2 autres invités de la maison s’attablent. Nous sommes alors 13 autour de la table. Gilles sert les assiettes. Une fois tout le monde servi, j’attaque mon coin de fideua qui est excellente. Le dessert est une sorte de bûche glacée rectangulaire qu’ont apportée les invités. Ils coupent des tranches qu’ils servent entre deux carrés de gaufrettes nature. Cela rappelle des souvenirs d’enfance à certains Espagnols de la table. J’imagine donc que ce dessert, encore jamais vu jusque là, semble être quelque chose de relativement courant dans les ménages. Le repas terminé, je sors de table avec le ventre gonflé de tant de nourriture. La Carol qui m’a accueilli à mon arrivée à l’orangeraie propose de jouer des bols tibétains et percussions métalliques comme nous l’avons fait la veille avec Dani, parfait pour un repos digestif. Je m’allonge sur un matelas et commence à naviguer entre réalité et songe.
Revenu à la réalité une fois les dernières vibrations des percussions passées, je propose de lancer l’atelier pain. Je prépare tout le matériel nécessaire et nous nous installons en terrasse avec pour apprenti l’autre Carol et Dani. J’ai suffisamment de levain pour faire 2 pains d’un kilo et demi. Je commence par mélanger la farine intégrale avec un peu de farine blanche pour le pain « complet » puis laisse Dani ajouter sel levain et eau. Il commence à mélanger suivant mes conseils en même temps que Carol prépare sa pâte : le second pain sera à la farine blanche agrémentée de raisins secs et noix. Les apprentis sont appliqués et les pâtes rapidement prêtes. Carol va plus vite en besogne ayant une expérience passée de pizzaiolo. Place au plus important du travail du boulanger : le repos.
Je profite de ce temps pour faire un peu plus connaissance avec le couple de Polonais arrivé la veille. Ils font également le tour de la péninsule mais dans l’autre sens et en camion. Cela fait un peu plus de 2 mois qu’ils voyagent. Ils ont tous les deux trois points sur une épaule, marque de brûlure faite pour l’application de bave d’un crapaud qui en contact avec la plaie à vif entraîne une forte réaction de l’organisme qui se vide entièrement par vomissement et défection suivis d’hallucinations.
Nous travaillons à nouveau la pâte avec Dani et Carol, je leur montre comment je procède puis les laisse essayer le mouvement. Nous laissons à nouveau reposer la pâte. Ayant des aubergines en quantité, je propose à Carol de faire un caviar d’aubergines en attendant la levée de la pâte. Nous préparons 9 aubergines que nous enfournons puis, une fois cuites, nous retirons la chair de la peau puis mélangeons le tout avec de l’ail, du citron, du sel, du poivre et de l’huile d’olive au mixer. Le résultat est excellent, il ne manque alors que le pain qu’il est maintenant temps d’enfourner. Nous cherchons Dani pour réaliser la dernière opération puis attendons que le pain cuise. Un des pains cuit plus rapidement que l’autre, je laisse suivre la cuisson du second aux Polonais puisque Carol propose de me masser. Lorsque je reviens du massage, les deux pains sont cuits et entamés, Andrea me complimente en me disant que le pain au noix et raisins est le meilleur de ceux que j’ai pu faire. Je lui dis alors qu’il faut remercier Carol qui l’a réalisé. Le caviar d’aubergines et le pain font fureur et se retrouvent bien entamés par les habitants de la maison.
Je reçois un message de Ulise, le propriétaire à qui on a appris que je suis toujours présent à la maison. Il me dit alors qu’il a beaucoup de rendez-vous dans les prochains jours et qu’il souhaite que je quitte la maison le lendemain. J’en informe les habitants qui me disent alors que si je souhaite rester plus longtemps, je serai alors un de leurs invités et plus un invité d’Ulise. Je préfère tout de même reprendre la route, cela m’évitera de tarder plus longtemps dans la région ainsi que des soucis diplomatiques. La soirée se finira en discutant avec les deux Carol, les Polonais et Dani qui s’intéresse alors à mon voyage aussi bien sur le plan pratique qu’humain.
31 Août 2022,
Je commence à assembler mes affaires pour me préparer à partir. Carol qui doit préparer le repas de midi me propose de partir après manger. Cependant le repas est servi à 14h et cela amputerait une grande partie de la journée, je refuse donc la proposition. Je réchauffe alors le reste de ratatouille que j’agrémente de bon pain de la veille, puis je commence mon tour d’au-revoir en cherchant les habitants de la maison. Ils semblent tous tristes de me voir partir, je le suis moi-même, mais également réjouit par la perspective de reprendre la route. Dani m’indique un lieu dans une petite ville à côté d’Alicante, el Campello, où se trouvent des amis de la maison qu’il m’invite à visiter. Lorsque je me rendq dans le salon hangar pour saluer les Polonais, j’arrive au moment où ils commencent à jouer du hand pan et de la guitare. Je m’installe alors pour les écouter jouer un long moment, très agréable. Une fois qu’ils ont terminé, nous échangeons nos contacts et je suis étonné par l’étreinte très douce et légère du bonhomme qui s’étire en longueur. Je cherche la Carol qui m’a accueilli à la maison pour qu’elle essaye de rouler avec le vélo. Je l’accompagne en rattrapant l’équilibre qu’elle n’arrive pas à saisir. Elle adore l’expérience qui est ponctuée tout du long d’exclamation d’excitation, d’appréhension et de rires. Je croise à plusieurs reprises Ulise qui est de passage à la maison pour la visite annuelle d’un organisme de contrôle vérifiant et certifiant l’exploitation comme étant biologique. Il me souhaite alors bonne route et me salue d’une accolade et d’un sourire. Le tour d’adieu terminé, je rejoins mon vélo en compagnie de Carol qui me salue et me regarde finalement partir. Plusieurs habitants m’ont dit que maintenant que je sais où ils sont, je peux repasser quand bon me semble.

Il doit être proche d’une heure. Je repère le vieux chemin vers Alcira, ce qui me permet de bénéficier d’une route tranquille sans avoir à vérifier mon chemin fréquemment. Je ramasse deux oranges sur le chemin qui traverse de grandes orangeraies. Je poursuis ensuite en direction de Xativa que je finis par éviter puisque je trouve des routes plus tranquilles m’amenant en direction d’Alicante. Je m’arrête un moment à Beniganim me recharger en eau et laisser le soleil passer un peu. En poursuivant ma route vers la Pobla del duc, j’aperçois quelques vignes qui attendent d’être récoltées. Je me dis alors que je devrais essayer de trouver un domaine qui chercherait des vendangeurs. Un peu plus loin, à Castello de Rugat, je me ravitaille de tomates et avocats pour un prochain pique-nique. Un passant curieux de ma bicyclette me pose des questions puis me donne son avis sur la route à suivre pour se rendre à Alicante.


La fin de journée commence à approcher. J’atteins Beniarrés, je me dis que je devrais tenter ma chance dans un bar, les locaux du coin doivent être au courant des vendanges. Je prends, comme souvent, une bière au citron et demande à mon voisin de bar s’il ne serait pas au courant d’éventuelles vendanges dans la région. Il me dit alors qu’avant c’était une région de vigne mais que l’Espagne surproduisait du raisin et que l’état a poussé à transformer les vignes en champs d’oliviers. Cela vient appuyer mes observations, je suis passé au milieu de nombreux champs d’oliviers sur les derniers kilomètres. Les quelques vignes qu’il reste sont des vignes « familiales » récoltées pour une consommation personnelle ou petite production de vin. Ma recherche s’arrête donc là et je reprends mon chemin après avoir vidé ma bière.
Non loin de Beniarrés, se trouve l’embassament de Beniarrés un barrage accompagné de son lac. J’ai alors repéré sur ma carte un endroit qui me semble propice pour un bivouac au bord du lac. En traversant le barrage, je constate qu’un chemin descend et longe la rivière Serpis. L’eau s’écrasant sur la turbine du barrage relâche le soufre qu’elle contient, provenant probablement de la putréfaction de la végétation noyée par la construction du barrage. Il se dégage donc une odeur quelque peu désagréable au niveau du barrage puis qui s’estompe rapidement. Après un petit kilomètre j’arrive au bout du chemin qui rejoint la rivière. Je ne trouve pas d’endroit susceptible d’accueillir mon hamac proche de la rivière à cause de la densité de la végétation, je me rabats donc sur un arbre du parking qui est désert et qui le restera puisque l’endroit semble peu fréquenté.
L’ascension vers Beniarrés m’a fait transpirer abondamment et je suis content de pouvoir me rincer dans cette rivière qui est, certes, peut-être encore chargée de soufre. Il fait alors nuit et j’entre nu dans l’eau fraîche et m’immerge en m’allongeant dans la rivière dont la hauteur d’eau ne dépasse pas quelques dizaines de centimètres. Je retourne à mon campement et me prépare un sandwich au goût de luxe : un bon morceau de pain complet maison accompagné de tomate rosa, avocat et jambon ibérique qu’il me reste de mon second passage à Valence et que je n’ai toujours pas ouvert. Il me reste également du sel et de l’huile d’olive pour assaisonner le tout : un régal.