Lyon – Rontalon


13 Juillet 2022,

9h du matin, j’émerge d’une nuit passée au milieu de meubles, cartons, cabas constituant le déménagement de mes colocataires. J’ai passé cette dernière nuit à la coloc sur un morceau de canapé complété d’une table basse pour soutenir mes pieds et d’un drap pour adoucir la surface. Je m’active en rangeant rapidement les dernières affaires me permettant de sortir des sacoches ma tenue de vélo avant de sauter dans la douche. Alors que je me finis de me savonner, la sonnette retentit : c’est probablement une amie rencontrée à l’altertour l’année passée qui doit déjà être là, légèrement en avance. J’attrape une serviette que j’enroule autour de mes hanches pour lui ouvrir. Claire est là sur le palier à m’attendre avec un sourire communicatif, je lui propose de rentrer tranquillement et de poser son vélo dans un coin, le temps que je finisse de me sécher et me changer.

Cycliste aguerri, je lui ai proposé, un peu en dernière minute, d’éventuellement m’accompagner sur mes premières étapes si cela lui était possible. A défaut et faute de nouvelles récentes, elle est venue me voir avant mes premiers coups de pédale, afin d’en savoir un peu plus sur mon projet. Je lui explique que l’idée est de faire le tour de la péninsule ibérique. Sans réelle contrainte de temps, je pense, à l’heure du départ, voyager jusqu’en novembre avant de rendre visite à mon frère, parti en Thaïlande depuis un an.

L’unique contrainte temporelle est d’atteindre Valencia, en Espagne, pour le 10 août, afin de participer à un festival de forro auquel je me suis inscrit. C’est avec cet objectif encore lointain que je tire un de mes fils conducteurs du voyage : danser, rencontrer les communautés de danseurs de forro qui se trouveront sur ma route. Un autre brin de cette tresse directive est celui représenté par les quelques outils que j’emporte avec moi : un kit de tournevis assez complet me permettant d’ouvrir bon nombre d’appareils électroménagers high-tech et de potentiellement les réparer ou entretenir grâce au petit fer à souder et multimètre contenus dans un autre petit kit. Enfin, et évidemment, le dernier brin de cette tresse est le vélo, partage d’expérience, récit, mécanique, exploit et que sais-je encore.

Claire connaissant mes questionnements de l’année passée me demande « et alors ton boulot, tu l’as quitté ? ». Oui en effet, depuis début mai j’ai arrêté mon boulot d’ingénieur, j’ai décidé de prendre ce temps pour voyager, laisser infuser et distiller les envies qui me mèneront probablement à devenir boulanger par la suite si l’envie actuelle persiste et prend forme. En écho à sa question je lui demande où elle en est de son côté, puisqu’elle a également arrêté son travail d’ingénieur l’année passée. Elle aura eu le temps pendant cette année d’apprendre un métier : elle a suivi un CAP à distance à son rythme et l’a passé trois semaines auparavant. Cela lui permettra d’être au fait des normes électriques actuelles pour les différents bricolages qu’elle sera amenée à mettre en œuvre à l’avenir et de pouvoir exercer un métier du bâtiment plus manuel mais pas trop pénible.

Je lui conte mes projets pour les premières étapes : je dois aujourd’hui me rendre à Rontalon, dans l’ouest lyonnais, berceau de la Soyeuse, une petite bière dont j’apprécie particulièrement leur rousse. Je connais sur place Nolwenn, la fille du brasseur, qui, avec un groupe d’amis a monté un collectif, Rontal’unisson, qui fourmille autour d’activités diverses ayant trait à la production alimentaire. En ce 13 juillet, le collectif organise une soirée brésilienne dans le jardin public de Rontalon et proposera bière et pizza maison au feu de bois pour sustenter la foule. La distance est faible, une trentaine de kilomètre depuis Lyon et j’espère donc partir le plus tôt possible pour les aider dans l’organisation de ce joyeux événement. Le jour suivant je dois rencontrer Baptiste, un ami ultra-marin rencontré à Lyon ayant migré à Eurre, non-loin de Crest, que Claire connaît également puisqu’il a aussi participé à l’altertour de l’année passée. La suite n’est pas encore bien tracée, mais j’imagine rejoindre le Vaucluse et le Ventoux avant de bifurquer vers Montpellier et suivre la côte méditerranéenne.

Après une bonne discussion et dégustation de viennoiseries que Claire m’a offertes, il est temps pour elle de s’en aller et moi de me mettre en route. Je finis de charger mes affaires, de faire un dernier tour dans la maison emplie d’affaires à déménager et je me dirige vers la porte avant de saluer Pierre et Angela, qui auront accompagné une partie du quotidien de ces trois dernières années, par quelques embrassades.

Il est 11h, le soleil tape fort, nous entrons dans une période de canicule. Je sens que je risque d’avoir chaud. Après quelques centaines de mètres, encore dans ma rue, je m’arrête chez une amie pour abandonner un veille paire de sacoches vélo, jugée pas assez robuste et étanche pour le périple que je compte entamer. Je reprends la route que je connais bien, j’ai pratiqué la première partie du trajet de nombreuses fois, rendant visite à mon oncle à Mornant. Traversant Oullins, je tombe sur un petit magasin de vélo ouvert. Je m’arrête puisqu’il me manque encore des rustines en plus d’une chambre à air de rechange ainsi qu’un système quelconque pour fixer mon téléphone sur un support métallique de mon vélo, proche de la sortie USB de l’USB werk branché au moyeu dynamo équipant la roue avant. Nous trouvons une pochette étanche qui semble faire l’affaire et qui laisse passer le câble USB à l’intérieur pour charger le téléphone en route. C’est un peu plus équipé que je reprends la route.

A l’approche de Thurins et de ses serres en plastique caractéristiques, je passe un verger de cerisiers sur lesquels il semble y avoir encore bon nombre de cerises. Je m’arrête, je me rends compte que les arbres sont bien chargés et qu’avec ce soleil de plomb tous ces fruits sont en train de virer au kirsch sur pied. Je continue donc ma route après quelques gorgées d’eau avant d’entamer la dernière ascension vers Rontalon. Les 4 derniers kilomètres séparant Rontalon de Thurins ne sont pas évidents de par la chaleur qui continue de cogner : il est bientôt 14h lorsque j’arrive enfin à la ferme de Nolwenn et ses amis.

Corps de ferme de Rontal’unisson

A l’image de mon dernier passage, le lieu est bien occupé par ses habitants et visiteurs. Je prends le temps de stationner mon vélo devant le bâti, échange quelques mots avec les jeunes au-dehors et me dirige à l’intérieur où Nolwenn finit de manger. Après s’être salués et avoir manifesté notre joie partagée de se retrouver, elle me propose de me servir en partageant les restes du repas avec Fred, un des habitants du lieu. Avant de m’attabler, la journée étant bien remplie pour le collectif, je prête main forte à Nolwenn, s’en allant s’occuper des préparatifs pour la soirée, en commençant par déplacer le four à pizza mobile jusqu’à la voiture à laquelle il sera remorqué. Je retourne ensuite à l’intérieur pour manger avec Fred.

Je serai le binôme de Fred pour l’après-midi. 50 kilos de pâte à pizza doivent être préparés pour confectionner pas loin de 250 pizzas ; un peu d’aide à cette tâche sera la bienvenue. Nous commençons par faire connaissance autour du repas, des pâtes aux légumes de l’exploitation maraîchère du collectif, principalement designée et entretenue par Fred. Je découvre qu’il est un membre de la famille qui possède les terres : le collectif Rontal’unisson est installé sur les terres de la famille de Fred, qu’il exploite et habite via un système classique de fermage agricole encadré par un bail de 18 ans. Les membre du collectif ont chacun leur espace personnel en habitat léger, principalement des caravanes immobiles, étalées sur le terrain en face du corps de ferme, certaines ayant pour voisin les poules. L’espace où nous déjeunons sert de cuisine, salon et dortoir à la fois. Il fait partie de l’espace du corps de ferme loué au collectif. Le restant étant la maison familiale de Fred où résident ses parents. Au fil de la discussion il me décrit le projet agricole qu’il est en train de penser et mettre en place. L’année prochaine ils récupéreront une partie des terres louées en fermage à un autre agriculteur afin de s’essayer à la culture de blé ancien. Le projet est remarquable par la façon dont il est pensé. Les terres ayant été exploitées en agriculture conventionnelle pendant plusieurs années, elle doivent être régénérées avant de penser à d’autres cultures. Pour cela une jachère de luzerne sera probablement plantée et occupera la terre pendant plusieurs années, 4 idéalement, avant de commencer à planter du blé qui ne sera pas irrigué. Afin que le blé puisse arriver à maturité sans apport supplémentaire d’eau, Fred pense coucher la jachère avant de semer le blé afin d’obtenir un couvert végétal qui retiendra l’eau pour les cultures et se transformera en humus pour le sol, normalement déjà ameubli par la jachère de luzerne. Fred estime que, même avec des rendements plus faibles des blés anciens, la production devrait suffire à couvrir leur besoin en blé pour l’année. Ils font une quarantaine de kilos de pain une fois toutes les deux semaines et ponctuellement utilisent de bonnes quantités pour répondre à des événements tels que celui du jour en produisant des pizzas, évidemment garnies par les légumes de l’exploitation maraîchère.

Après avoir bien échangé, Fred sur le lieu et moi sur mon voyage, il est temps pour lui de rattraper le manque de sommeil par une sieste et moi de me doucher. Au sortir de la douche, se joue de l’accordéon dans le salon sur un air de forro. J’y découvre Elsa seule, sur le canapé, jouant quelques notes. Après avoir préparé un tisane de plante séchée par mes soins que j’abandonnerai sur place, j’apprends que ce sera elle qui animera l’initiation aux danses et musique brésiliennes avant le groupe forrofa qui suivra. Elle a des yeux d’un bleu gris clair, un visage doux et détendu qui inspire naturellement confiance. Elle a vécu 2 ans à Recife et nous discutons naturellement Brésil en finissant par échanger quelques pas de forro sur un fond musical.

Elsa à l’accordéon

Fred se réveille, il est temps de préparer les pâtes à pizza, il commence par chauffer l’eau en incorporant le sel puis nous pétrissons la pâte. Pendant que l’un malaxe, l’autre ajoute progressivement l’eau au mélange dans une bassine servant de pétrin. Nous répèterons l’opération 2 fois, dans deux autres bassines, avec 45 minutes d’intervalle afin d’étaler la levée de la pâte sur une bonne partie de la soirée. Une fois la dernière pâte préparée, il est temps d’effectuer le premier rabat en incorporant l’huile d’olive à la pâte. Cette opération terminée, Fred me charge de réaliser une bonne casserole de béchamel qui servira de base à une partie des pizzas, pendant qu’il vaque à d’autres occupations. Ce doit être l’une des premières fois que je fais de la béchamel, le résultat me paraît satisfaisant malgré les quelques grumeaux encore présents dans celle-ci.

L’heure du début de la soirée approche à grand pas ; nous nous rendons au jardin public, Fred, Nolwenn et moi, chargés avec les pâtes à pizza : une dans le coffre, une sur un siège passager arrière, la dernière sur les genoux de Nolwenn et la béchamel sur les miens ! Arrivé sur place, je découvre le jardin public de Rontalon, caché au bout d’une petite ruelle, s’ouvrant sur un flanc de colline donnant sur les monts du lyonnais, laissant place à une superbe vue sur la campagne environnant et l’agglomération lyonnaise en fond. Après m’être régalé les pupilles de cette jolie vue, j’aide à la manutention des derniers éléments à rapatrier jusqu’à la cuisine improvisée dans une allée herbeuse, devant l’emplacement choisi pour le four à bois. Il faut encore trouver une solution pour passer un câble électrique qui permettra d’alimenter les lumières de la cuisine ; par chance nous trouvons une très longue palette sur un chantier de la ville avoisinant, dont nous prélevons une planche pour percher le câble et éviter que les spectateurs ne s’emmêlent les pieds dedans. La cuisine fourmille d’activité ; pendant que certains coupent encore des légumes, d’autres chargent le four d’énormes plats emplis de légumes précuits pour garnir les pizzas. Je prend part à ce mouvement en effectuant le rabat de la dernière pâte qui attendait encore de boire son huile. C’est à ce moment que Chloé, une amie du groupe de forro lyonnais, dont j’apprécie particulièrement les pas de danse, arrive avec ses quatre enfants ; je la salue brièvement, puis plus longuement ainsi que ses enfants, un peu timides, après en avoir fini avec la pâte. Je retourne à la cuisine prêter main forte pour façonner les pâtons pour les pizzas, tâche répétitive et chronophage mais agréable dans cette ambiance.

Je décide ensuite de me rafraîchir avec un bon jus de fruit, en profite pour discuter avec Chloé un moment jusqu’à ce que j’aperçoive Rémi et Gabriel arrivant avec leur monture de métal à pédale. Bien que quelque peu fatigués par le trajet ils ont l’air victorieux ! Je leur ai proposé la veille de me retrouver au soir de ma première étape à Rontalon afin de profiter de la soirée ensemble. Ils ont pris le train jusqu’à Brignais et ont terminé à vélo, profitant de la plus belle partie du voyage sans avoir à traverser l’agglomération lyonnaise, s’attaquant directement à l’ascension des mont du lyonnais.

Je profite de leur arrivée pour prendre une bière avec eux avant de participer à l’initiation au coco animé par Elsa. Le coco est une musique et danse brésilienne très « terrestre ». La danse fait partie intégrante de la musique puisque les pas de danse lourds tapent sur le sol, ici un parquet en bois assez lisse, et servent de percussion sur laquelle s’ajoutent des chants qu’Elsa nous enseigne. Elle propose aussi à l’assistance, quelque peu timide, de s’essayer à l’improvisation. Nous finissons sur le chant qu’elle nous a enseigné, pisa na roseira, accompagnés par Stéphane Pai Veio au pandeiro (tambourin), membre du groupe forrofa qui jouera juste après.

Je profite de la mise en place du groupe pour m’hydrater, me restaurer et saluer une autre amie brésilienne de Gabriel venue de Lyon que j’ai déjà eu l’occasion de croiser à plusieurs reprises. C’est au moment où je finis mon premier morceau de pizza que commence le concert, j’abandonne mon assiette encore pleine au bord de la piste pour emplir celle-ci de danseurs. J’entame une première danse avec une partenaire assez grande, ayant l’expérience d’autres danses mais pas du forro. Elle arrive bien à suivre et nous passons tout les deux un bon moment. Je profite de l’arrivée de Chloé sur la piste pour danser avec elle.

Groupe Forrofa accompagné de danseurs


Les danses s’enchaînent, les rythmes se succèdent, la nuit tombe et avance jusqu’au moment où les feux d’artifices des villages des monts du lyonnais éclatent au loin, certains plus proches que d’autres, en musique, dans une ambiance détendue sur les derniers morceaux du groupe tout en sautillant sur la piste avec Rémi. Après un criant rappel, le groupe laisse place à une ambiance musicale toujours brésilienne sortant d’un ordinateur avant de laisser place à une scène ouverte, d’où se déclament poèmes, texte rappé et chant a cappella ou en karaoké. Deux poèmes d’amours punk tordants s’enchaînent, une membre du collectif chante une chanson de sa composition magnifique, puis je prends le micro pour chanter Casa da floresta de Nanan, sans accompagnement, tout de suite accompagné par Stéphane, de l’autre côté de la scène, pour les refrains.

Danse nocturne sautillante

S’ensuit un retour vers la brasserie de la Soyeuse pour raccompagner Chloé qui y est hébergée, puis une marche nocturne en solitaire pour rejoindre la ferme de Rontal’unisson avant de m’installer et m’endormir dans le salon dortoir du collectif.


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