4 août 2022,
Le jour se lève, je découvre le décor qui m’entoure après une arrivée nocturne au col de Capafonts. Je constate au moment où je décide de faire mes besoins dans l’herbe qu’un agriculteur est en train de verser des seaux d’une tonne à eau qu’il déplace avec son véhicule tout terrain au pied de la plantation d’oliviers en contrebas. Je pense qu’il ne m’a pas vu. Je range tranquillement mes affaires, et je le vois partir avant de me mettre en chemin.


Je rejoins la route que j’avais quittée pour dormir le long du GR et descends vers le col de Capafonts culminant à 936m. J’entame une descente vers la Febro où se situe la dernière piscine naturelle que je pense visiter. Arrivé au village je remplis ma réserve d’eau et discute avec un ancien qui m’observe depuis son balcon. Je lui explique que je compte me rendre au « toll » en espagnol, ou plutôt catalan. Il me dit qu’en ce moment, surtout cette année, le toll doit être à sec ou avec très peu d’eau et que cela ne vaut pas le coup, sauf pour constater les effets de la sécheresse qui sévit comme je lui fais remarquer. Il ajoute que cette année est si chaude que le soleil a brûlé ses plants de tomates. Au vu de la direction que je souhaite prendre, il descend de son balcon pour me suggérer un itinéraire. Nous nous installons sur un banc et il me suggère de remonter les 4km que je viens de descendre pour passer par Prades puis Cornudella de Montsant en passant par Albarca.
Cela semble m’ajouter quelques détours, mais je lui fais confiance et décide de passer par ces endroits qui ont l’air intéressants, remontant un peu à contre-cœur la pente que je viens de descendre. Prades n’étant qu’à quelques kilomètres, je suis vite sur place et m’arrête dans une boulangerie pour le petit-déjeuner que je n’ai pas encore pris. Au passage, je croise un ancien du village de Capafonts, rencontré la veille, qui parle français, attablé en train de prendre son café. En passant il me dit « bon voyage ! ». Je m’assois sur un banc de la place de Prades pour manger un croissant garni de fromage et jambon ainsi qu’une part de flan. Un homme se met à observer attentivement mon vélo, à le prendre en photo, puis vient me voir. L’homme retraité est à Prades en vacances pour 3 semaines, il me dit qu’il a rencontré non loin de chez lui un autre « viajero » (voyageur) espagnol parti en mars sur les routes. Il suit depuis ce cycliste qui est arrivé en Turquie, il embarque avec lui un petit drapeau espagnol qui flotte au vent, lui attirant la sympathie des gens qui sont curieux de savoir comment il a atterri sur place. Il emmène avec lui du matériel pour peindre et s’arrête dans des endroits inspirants pour s’adonner à cette occupation. Une fois le tableau réalisé, il le roule et trouve un endroit où il peut le faire envoyer en Espagne. Je trouve l’idée intéressante et compte bien m’inspirer de ce monsieur en me munissant d’un petit drapeau si j’en trouve un.
Après un long moment d’échange, je me remets en route vers Albarca, j’atteins le village en passant juste avant le col du même nom à 774m. Ce village est perché sur un pic rocheux qui me demandera un effort bref mais intense à gravir pour apprécier la vue depuis celui-ci. D’un côté on aperçoit au loin les monts verdoyants de Prades, de l’autre des monts plus arides, moins densément peuplés d’arbres, laissant apparaître le sol aux teintes jaunes, orangées et légèrement vermeilles. Je discute au village avec une femme accompagnée de son vélo et son chien. Ils sont venus, elle et son compagnon, en balade en VTT avec le chien qui était en cruel manque d’eau arrivé à Albarca. Ils ont donc préférer arroser le chien avec leurs restes d’eau plutôt que de s’hydrater. Son compagnon est parti chercher la voiture pour redescendre et ne pas souffrir plus longtemps de la chaleur. L’animal, déjà rafraîchi par l’eau, a l’air plutôt bien portant et énergique. Je pars prendre des photos du relief et, au retour, la femme m’indique l’emplacement d’une fontaine dont elle vient de trouver l’emplacement. Je n’en ai pas besoin vu mes réserves d’eau alors je continue mon chemin vers la Cornudella où elle m’a indiqué un lac pour se baigner.



Peu avant Cornudella, je tombe sur la route qui descend au lac de la Siurana qui se trouve être un lac de barrage. La hauteur d’eau est très basse si l’on compare avec des photos satellites de l’endroit, mais restant toujours largement suffisante pour une baignade. Un petit espace aménagé et ombragé est à disposition des passants et surtout des clients du loueur de canoës. Après une baignade et quelques brasses dans le lac, je m’installe à l’une de ces tables et entame les restes de mon casse-croûte de la veille en observant d’un œil amusé une famille attablée plus loin apprenant aux enfants comment se tenir.
Après une bonne pause je repars, je remplis ma réserve d’eau à Cornudella où je ne m’attarde guère puis monte en direction d’Escaladei. Le paysage est maintenant, et depuis que je me suis approché de Cornudella, viticole. De nombreuses vignes ont maintenant remplacé les arbres. Avec l’altitude les raisins ne sont pas encore tout à fait matures mais on sent qu’ils s’en approchent. Après un virage je commence à être bien exposé au soleil, il est alors un peu plus de 15h, j’aperçois une maison, de l’autre côté d’un lacet, au milieu des vignes, qui semble être un domaine. En passant devant, je vois trois personnes dans la cour. Curieux, je me rapproche et découvre qu’il s’agit de deux Français venus visiter le domaine avec une employée de celui-ci qui se trouve être hollandaise.

Elle me demande si je souhaite participer à la visite du domaine : Joan Ametller. Vu la température, j’acquiesce en me disant qu’il vaut mieux profiter de cet intermède pour éviter le soleil. J’apprends que cette région était, il y a bien longtemps, une grande région de vignes. L’activité a ensuite diminué au fil des siècles puis s’est redéveloppée dans la région lorsque les vignes françaises se sont trouvées ravagées par le phylloxéra : il fallait répondre à la demande des Gaulois, grands consommateurs de vin. Les Espagnols se sont mis à planter 10 000 hectares de vignes qui se sont bien évidemment retrouvées attaquées par ce même parasite et à laisser bon nombre de producteurs sur la paille ou plutôt sur des souches de ceps dépourvues de racines, friandises pour le phylloxéra. Elle nous explique que la solution à cela viendra de la même source que le mal : des Etats-Unis. Les vignes européennes, non confrontées au phylloxéra, jusqu’alors absent de l’Europe, n’ont aucun moyen défensif contre le ravageur. Son importation, fruit des échanges avec le nouveau continent, a mis à mal toutes les vignes européennes qui ont été sauvées par la vigne américaine ayant développé un système racinaire déplaisant au parasite. Aujourd’hui, à quelques exceptions près, toute les vignes d’Europe sont greffées sur des racines de plants américains. Plants américains qui non greffés n’ont pas d’intérêt pour produire du vin.
Après un peu d’histoire, nous continuons par un passage dans les vignes, sous le soleil qui m’est difficile à supporter. Lorsque l’exploitation des premières parcelles a commencé, les exploitants souhaitaient cultiver le cépage local, le grenache. Cependant, les investisseurs ayant peu confiance en celui-ci, imposent l’implantation d’autres cépages comme le merlot ou le cabernet sauvignon. La répartition est alors de 20 % de grenache, 80 % d’autres cépages. Maintenant que les grenaches ont fait leurs preuves, ils sont à 80 % de grenaches et 20 % d’autres cépages. Elle nous montre les plants de grenache qui poussent sur toute la parcelle autour du domaine. Ils ont accès à une source qu’ils ont le droit d’utiliser pour irriguer uniquement avec un système de goutte à goutte comme dans de nombreuses exploitations agricoles en Espagne puisque les ressources en eau sont limitées.
Après cela, nous retournons à l’ombre pour visiter la cave où est transformé le vin puis mis en fûts, plus ou moins anciens en fonction de la qualité et du caractère que l’on souhaite donner au vin. Les fûts de chêne viennent de France et sont empilés les uns sur les autres tous remplis. La quantité est impressionnante. J’apprends que la contenance de 225l nous vient des Anglais qui, très attachés à leur système impérial, comptent en galons : une caisse de vin de 6 bouteilles de 75cl donne 4,5l, ce qui équivaut à un galon . Par conséquent les fûts de chêne ont une contenance de 50 galons.
Nous passons enfin à la dégustation de 3 vins, un blanc, et deux rouges, accompagnée du cérémonial d’usage : sentir les arômes au nez, observer la robe et le conserver en bouche suffisamment longtemps pour laisser l’arrière-goût se développer en bouche. Ils sont tous bons, mais mon cœur balance pour le dernier, le rouge le plus fort, alors qu’il semble moins alcoolisé que le précédent. Je ne vais évidemment pas, encore moins dans les montagnes, m’alourdir de vin, mais il est vrai que l’envie était présente.

Je me remets en route et marque un arrêt a Escaladei où je visite la Cartoixa ou Chartreuse d’Escaladei, attiré par sa belle allée de thuyas se terminant sur une arche avec une statue d’une sainte. Il s’agit d’un immense lieu de recueillement construit par l’ordre des Chartreux issus de Grenoble au 12ème siècle. Un fond européen a été accordé pour restaurer cet immense ensemble de bâtiments. Je trouve, en passant des parties délabrées aux parties reconstruites, que l’endroit perd de son authenticité, on ne perçoit plus ou plus de la même manière le poids du temps et de l’histoire qui chargent ce lieu.
Je reprends la route qui s’arrête à El Molar où je rencontre la patronne d’un bar assise à table, elle me dit qu’ils ouvrent dans quelques minutes. Ce qui m’intéresse avant tout c’est un endroit où dormir. Elle m’en indique un, un peu plus loin hors du village où je devrais être tranquille. Il se trouve sur le « cami del font » qui se traduit par le « chemin de la source ». Comme elle me l’a indiqué, je trouve sur place un vieux lavoir, non alimenté mais également des sanitaires fermés mais avec un point d’eau accessible en extérieur. On trouve des jeux pour enfants, de grands barbecues et tables en pierre. L’endroit est ombragé par des tilleuls, et autres arbres bien espacés. Le point d’eau est un robinet à pression avec des bassins pour l’écoulement de l’eau. Un bout de tuyau gît au fond d’un bassin, il permet de diriger l’eau où l’on souhaite en l’emmanchant à la sortie du robinet. Le robinet s’arrête instantanément si on ne le presse plus. Je finis par trouver une astuce pour me laver. En m’asseyant sur le rebord du bassin, je presse avec un pied sur le robinet et m’arrose avec le tuyau me permettant de profiter d’une douche bien attendue après cette journée. Après une lessive à la main et avoir installé mon hamac, je retourne au bar pour me restaurer, écrire et retourne me coucher tranquillement.