13 septembre 2022,
Je me lève tôt, je me promène dans ce curieux quartier qu’est l’Albacin, uniquement constitué de rues étroites en galets où la circulation en voiture est bien souvent impossible. Je monte jusqu’à une petite place flanquée d’une église puis redescends en profitant de la vue d’une terrasse que je découvre par hasard. Je redescends à l’auberge et contacte Amadeo. Il est disponible, réveillé et me propose de le rejoindre dans la matinée. Je m’installe écrire un moment puis le rejoins chez lui dans la rue Darro, connue pour être la rue de Grenade la plus prisée des photographes. Les retrouvailles se font dans de grandes embrassades, dans des regards complices de deux voyageurs ayant surmonté les mêmes problématiques et vécu les moments de joies intenses du voyage. Je parque mon vélo dans sa cour intérieure puis monte ce dont j’ai besoin. Amadeo me laisse la chambre d’une cinquième colocataire qui devrait arriver d’ici la fin du mois : je vais bénéficier d’un lit et de l’absence de voisin de chambre, parfois ennuyant.

Après une longue discussion de retrouvailles, j’offre à Amadeo la « bombilla », la paille métallique, accompagnée de la tasse que j’ai trouvée abandonnée en bord de route à Ibiza. Amadeo ne connaît pas le maté et serait curieux de le découvrir. Nous partons en ville à la recherche de plusieurs choses : un livre pour Amadeo, de la bonne farine pour faire du pain, une paire de tongs pour remplacer la paire hors de service, un petit drapeau français à attacher à mon porte-bagage ainsi que du maté. Amadeo me promène dans des quartiers animés de la ville , l’ambiance de cette ville est plaisante et je pense que je m’y plairai bien. Nous tombons d’abord sur un magasin vendant toute sorte de plantes en sachets, dont du maté, que nous trouvons au fond d’un rayon. Nous trouvons ensuite noix et raisins secs qui agrémenteront le pain, ainsi que des dattes, puis de la bonne farine écrasée à la meule de pierre dans une petite épicerie bio. La vendeuse nous indique un endroit où je devrais pouvoir trouver des tongs, un bazar, souvent tenu par des Chinois. Nous nous arrêtons manger une portion de « paella » à emporter suivie de quelques dattes charnues et très goûteuses. Nous rentrons chargés de tout ce dont nous avions besoin, à défaut du drapeau optionnel que je n’ai trouvé qu’en exemplaire bien trop grand à mon goût.
Arrivé chez Amadeo, je sors un sachet de levure et nous nous lançons dans la confection de la pâte à pain qu’il souhaite apprendre à faire. S’ensuit un maté qu’Amadeo n’apprécie guère, puis il s’en va à l’université pour quelques heures. Il revient juste à temps pour le second travail de la pâte que je lui enseigne. La pâte a une belle tête, le pain sera bon. Nous la laissons reposer encore un moment, le temps d’une discussion voyage et vélo. Amadeo est passé par les lieux que je m’apprête à franchir après Grenade. Il me suggère d’éviter à tout prix la zone entre Malaga et Gibraltar qui est accessible uniquement par nationale très fréquentée et dangereuse, ou autoroute qu’il a lui-même évitée en prenant un train de Gibraltar à Malaga. Il me déconseille entre autres de passer par Gibraltar qu’il n’a pas trouvé intéressant, si ce n’est pour voir le détroit. Je considère alors la possibilité de passer par l’intérieur en traversant Ronda, au Nord d’Algecira.
Il est temps d’enfourner le pain, prêt. Une petite heure plus tard, une jolie miche gourmande attend de se faire dévorer, aussi bien nature que tartinée de humus. La boulange a plu à Amadeo qui a envie d’essayer de réitérer l’expérience seul. Un moment plus tard il s’en va rejoindre des amis en ville, me laissant ainsi seul avec ses colocataires allemandes. Je discute un bon moment autour des fourneaux à cuisiner mon dîner avec Katarina qui parle bien espagnol pour avoir été un moment en Équateur. Pour ne rien arranger à l’image que je commence à avoir de ce pays, elle me raconte qu’elle et une amie ont été braquées dans une petite ville réputée pour être calme par un homme cagoulé muni d’un sabre. Prises de panique elles se sont enfuies chacune d’un côté. Katarina a ressenti un choc dans le dos alors qu’elle courait, pensant à une pierre, mais son amie se rend compte plus tard qu’elle est ouverte et qu’il devait s’agir du sabre qui lui a entaillé le dos. Arrivées à l’hôpital, elles ont dû faire des pieds et des mains pour être traitées au plus vite, n’ayant plus aucun document en leur possession, en assurant qu’elles feraient au mieux pour récupérer les papiers nécessaires. Elle s’est ensuite retrouvée avec une gastrite aigüe engendrée par la quantité importante d’antibiotiques administrée pour éviter l’infection.
Je décide de terminer la journée par un tour en ville. Je croise Amadeo et son groupe d’amis par chance au retour puisque je n’ai, sans que je sache pourquoi, plus de réseau téléphonique à disposition depuis que je suis à Grenade.
14 septembre 2022,
Après une bonne nuit de sommeil, je m’adonne à l’écriture pendant qu’Amadeo étudie. Je profite de la matinée pour écrire et contacter un studio de yoga, repéré sur internet : j’ai l’envie de pratiquer. On me répond assez vite que je peux venir à n’importe quel cours proposé sur l’agenda. Je réponds alors que je passerai en fin d’après-midi pour un cours de Vinyasa.
Nous sortons à nouveau avec Amadeo pour feuilleter un livre dont il aura besoin pour un cours et je profite du passage dans la librairie pour acquérir une carte papier de l’Espagne, me permettant de matérialiser mon tracé sur la carte. Nous faisons le plein de légumes pour le repas du midi que nous cuisinons au retour : une poêle assaisonnée d’huile d’olive, sel, paprika revenu dans l’huile avec l’ail puis mélangé aux pâtes.
J’ai vérifié mes pneus dans la matinée et il me semble avoir encore une crevaison lente à l’avant. En vérifiant la chambre à air, il apparaît que l’air s’échappe d’une des rustines. Je décide de mettre la chambre à air neuve en ma possession, puis de partir à la recherche d’une nouvelle chambre à air de rechange et me ravitailler en rustines. Je cherche, aussi sans grand espoir, un bon pneu Schwalbe qui pourrait remplacer mon nouveau pneu de VTT et uniformiser les diamètres de chambres à air nécessaires. Je profite du déplacement pour acheter une barrette de ram d’occasion pour booster le vieil ordinateur portable d’Amadeo qui en aurait besoin pour gagner quelques années de vie supplémentaires.
Je m’arrête au retour au studio de yoga pour participer au cours. Je suis accueilli par Esther qui tient le studio et qui me présente un tapis où m’installer dans la salle. Le studio est situé en plein centre ville, dans un endroit étonnamment calme, bien entretenu et chaleureux. Esther annonce que le cours sera dispensé par Javier, son premier au studio. Le cours est très bien mené et guidé, enchaînant harmonieusement des postures simples, que j’espérais plus complexes mais finalement adaptées à la récupération musculaire dont mon corps a besoin après deux jours de montagne intense.
Au moment de régler, Esther me propose de me faire un prix en participant à un autre cours si je reste plus longtemps à Grenade. J’accepte alors de revenir le lendemain matin puis quitte le studio pour rejoindre l’appartement. Arrivé sur place, je trouve Amadeo qui revient d’une séance de footing émerveillé. Il a suivi un tracé suggéré par des étudiants qui monte dans les collines au-dessus de l’Alhambra. Le vue est si époustouflante que les mots ne lui viennent pas pour décrire la zone. Nous essayons la mémoire dans son ordinateur qui malheureusement n’est pas compatible, je décide alors de garder la pièce qui fera, sans aucun doute, un heureux plus tard. Nous discutons un moment autour d’un apéro de humus, vin de Jerez liquoreux, puis partons en ville nous installer sur un mirador de l’Albacin observer la ville de nuit. Un petit groupe se forme autour d’un couple de danseurs de flamenco, animé par un guitariste grattant avec une bonne cadence les cordes de la guitare. Nous redescendons par l’autre bout de la rue du Darro, tout aussi jolie, avant de chacun rejoindre ses quartiers.

15 septembre 2022,
J’infuse un maté que je bois tranquillement avant de me rendre au cours de yoga. Esther nous accueille toujours avec son sourire transpirant la bienveillance pour un cours intimiste, nous ne serons qu’une demi-douzaine pour ce nouveau cours de vinyasa. Le cours d’Esther est plus dynamique et intense, certaines positions en apparence assez simples me feront transpirer. Son guidage est clair, précis au niveau de la respiration et les positions sont corrigées pour chacun des pratiquants. Nous finirons la séance par une série d’exercices au mur pour préparer le plus intense, se tenir à l’équerre sur les mains en montant petit à petit les pieds le long du mur jusqu’à atteindre les 90°, jambes tendues. Il faut de la force dans les bras ainsi qu’une bonne tonicité pour maintenir correctement la position.
Je quitte le cours en la remerciant bien puis me dirige vers la « plaza Nueva » à côté de l’appartement d’Amadeo. Je trouve sur le chemin une sorte de café, vendant des pionios et de la « torta de la virgem » (tarte de la vierge), pâtisseries typiques de la région. Le pionio est une sorte de cannelé à la cannelle et la torta de la virgem, une tarte dorée en extérieur, légèrement sablée à l’intérieur, fourrée aux « cheveux d’anges », des sortes de filaments gélatineux sucrés ou encore au chocolat ou autres saveurs.
Je rejoins Amadeo à l’appartement, continue l’écriture jusqu’au repas de restes de la veille. Il part ensuite à l’université pendant que je poursuis l’écriture de mon voyage. J’en profite pour contacter un Colombien rencontré à Valencia, qui est mon contact forro de Séville pour l’informer de mon arrivée à Grenade, que mon chemin se poursuit et que je m’approche doucement de Séville. Il me répond alors en me disant que samedi aura lieu un concert dans un restaurant dans un hameau à quelques kilomètres de Grenade, en m’envoyant le détail de l’événement. Il me donne alors le contact d’une amie à Grenade qui danse et fait partie du petit groupe de gens qui pratiquent et tentent de créer une petite communauté de danseurs sur place. J’échange alors avec elle par message et apprends que le dimanche soir ils se retrouvent dans un parc pour pratiquer. Je pensais alors repartir le lendemain, vendredi, mais je vois là une belle opportunité de danser un peu, chose qui commence à me manquer. En relisant le détail de l’événement du samedi soir, je m’aperçois que le nom de l’accordéoniste affiché ne m’est pas inconnu : il s’agit de Tulio, un Brésilien installé à Malaga, que j’ai contacté par message quelques temps auparavant afin de savoir s’il est possible de danser à Malaga.
Je passe l’après-midi à écrire et échanger avec mes différents interlocuteurs jusqu’au retour d’Amadeo. Je lui annonce ce que je viens d’apprendre et que j’envisage alors la possibilité de m’attarder un peu plus longtemps à Grenade. Il me dit alors que je devrais chercher une auberge de jeunesse rapidement puisqu’il sera absent pour le week-end à partir de vendredi soir et que les auberges se remplissent assez vite en week-end. Je pars alors courir dans la zone manifestement magnifique, que m’a indiquée Amadeo la veille, le temps de réfléchir aux deux options qui se présentent : partir ou rester.




Je décide de rester et me mets en quête d’une auberge de jeunesse pouvant accueillir mon vélo. Celle où j’ai passé ma première nuit est pleine. Je tente ma chance dans une autre où je ne trouve qu’un voyageur qui m’ouvre la porte en me déconseillant l’endroit. Il m’indique alors une autre auberge, non loin de là, qui semble avoir encore de la place et une terrasse pour entreposer mon vélo. Je me rends sur place et trouve effectivement un lit pour les trois nuits à un prix plus élevé que la normale : un festival a lieu en ville, ce moment emplissant les hébergements et faisant ainsi monter les prix.
J’informe Amadeo que j’ai trouvé une solution et que je souhaiterais passer un peu de temps en sa compagnie pour cette dernière soirée avant qu’il ne s’en aille. Il m’indique alors un bar à tapas où il se retrouve avec des amis que je rejoins. En route, je tombe sur une église où se trouve devant l’entrée une troupe de musiciens, une sorte d’orchestre contenant beaucoup de cuivres. Une foule assiste à la scène assemblée en demi-cercle autour des musiciens. Arrivé au bar, le groupe est constitué d’étudiants dont la moitié sont des Allemandes. Je fais la connaissance d’Henry, un Australien qui parle également français, ayant passé un moment en France à faire le tour des Alpes avec des amis ; il compte se rendre en Amérique du Sud après son échange, notamment au Brésil, je lui propose alors de nous rejoindre dimanche soir au cours de forro en extérieur. Il accepte et nous échangeons nos contacts. Il me propose même de me laisser sa chambre pour le week-end après lui avoir expliqué avoir eu quelques difficultés à trouver une solution d’hébergement pour les prochains jours.
16 septembre 2022,
J’écris pendant qu’Amadeo est occupé à s’entretenir avec ses colocataires. Je commence à assembler mes affaires pour les charger sur mon vélo. Il est temps de me rendre à l’auberge de jeunesse pour y laisser mes affaires. Je salue brièvement Amadeo et me rends à l’auberge : les adieux se feront lundi à son retour.
J’ai informé la professeur de yoga que je reste finalement plus longtemps en ville et que si elle a une activité intéressante à me proposer je suis preneur. Elle me répond en m’invitant gratuitement à un cours de mon choix. Je la remercie en lui annonçant que je viendrai au dernier cours de la journée.
Je profite de l’après-midi pour me promener encore une fois en ville avant de rejoindre le cours de yoga en fin de journée. C’est Esther qui mène le cours, du même style que la veille, mais globalement encore plus intense que le second cours. En fin de cours, je discute avec elle un moment, évoquant le cours de forro en plein air. Percevant son intérêt, je lui propose de venir, d’autant plus que le groupe de Grenade manque encore de pratiquants. La journée se terminera par un repas à emporter de pommes de terre au fromage sur un banc devant une église. Ma tante m’a soufflé l’idée de me rendre au pic de Veleta, le plus haut pic accessible à vélo depuis Grenade. Je décide de préparer mes affaires, de me coucher tôt, pour pouvoir tenter l’ascension le lendemain.
17 septembre 2022,
8h, je me lève, bien décidé à toucher les nuages. Rapidement prêt, emportant avec moi quelques outils en cas de pépin, et quelques fruits secs, je m’élance vers la banlieue de Grenade. Je m’arrête dans un café à Cenes de la Vega prendre le petit déjeuner pour avoir suffisamment d’énergie pour commencer cette grosse journée. A Pinos Genil, je décide de bifurquer vers Guejar Sierra, la route me semble moins large et passante. Je m’arrête un moment au barrage de Canales observer le lac. Un père et son fils d’une petite dizaine d’années, arrêtés pour la même raison, commentent mon vélo. Lorsqu’ils s’approchent, je réponds aux interrogations sans qu’ils me le demandent directement. Après l’introduction habituelle, je leur dis que je compte atteindre le pic de Veleta. Le père m’indique alors que le chemin que je suis en train de suivre est très dur puisqu’il présente quelques kilomètres avec une pente à 20 % en passant par le « duque ». Je décide de poursuivre, je pousserai si je ne parviens plus à pédaler. Je suis confiant, allégé des kilos de paquetage que je transporte habituellement avec moi.

Guejar Sierra, je remplis ma poche d’eau d’une délicieuse eau de source. La petite ville me paraît magnifique mais je ne m’attarde guère, je ne suis pas parti très tôt et je n’ai aucune idée du temps que l’ascension me prendra. Passé Guejar, la route redescend vers la rivière Genil qui alimente le barrage. La forte pente me donne une idée de ce qui m’attend après. Je rattrape un cycliste qui m’a aperçu en sortant de Grenade. « Allons au Veleta », lui dis-je. Il me répond qu’il s’arrêtera avant. Son téléphone joue de la musique pour rythmer la cadence. Nous commençons alors à pédaler ensemble. Je le devance dans les descentes puis il me rattrape alors que la pente commence à se faire difficile. La route est étroite, ne laissant d’espace que pour une voiture dans un sens et un peu de marge pour un vélo dans l’autre. Elle sillonne en lacets sur un flanc de montagne abrupte recouverte par la forêt, formant une sorte de tunnel végétal. L’endroit est magnifique, tout autant que les apparitions furtives de l’autre rive du Genil dans des trous de la végétation.
Plus les lacets s’enchaînent, plus le dénivelé semble augmenter. Je suis le cycliste qui m’accompagne pendant un bon moment, il finit par doucement s’éloigner à mesure que la montagne me vide d’énergie. Je finis par faire une pause, manifestement juste après les kilomètres les plus durs, puisque la pente qui suit commence à s’adoucir. A la fin de ces lacets abrupts, je trouve quelques pieds de vigne et me régale de raisins pour souffler un peu et reprendre des forces. Plusieurs cyclistes passent alors que je me restaure, dont une femme qui me tend la main que je tape de la mienne en signe d’encouragement.
J’arrive à une intersection, je pourrais alors rejoindre la route principale, cependant, je préfère bifurquer à gauche sur la A-4025 qui me semble plus sauvage et moins fréquentée, bien que le trafic de manière générale semble assez faible. De nouveaux lacets se présentent à moi mais cette fois-ci beaucoup plus faciles à franchir, fort heureusement puisque je me sens déjà diminué par la grosse difficulté que je viens de franchir. J’atteins le mont « Ahi de cara » offrant un point de vue déjà magnifique sur Grenade et les alentours : je suis à 2106m d’altitude et les autres points plus hauts de la région sont ceux vers lesquels je me dirige.


Je passe le col des « Sabinas » qui doit approcher les 2200m pour rejoindre l’axe principal, désormais unique, desservant la station de ski « Pradollana », un peu plus bas. Je poursuis mon ascension. Je me suis couvert de ma veste de vélo car les températures commencent à diminuer, d’autant plus que le ciel est couvert. Un peu plus haut, à 2500m, je m’arrête aux petites cabanes en face de l’auberge universitaire servant à boire et manger. Elles doivent plutôt fonctionner en hiver car il n’y a que 2 cabanes ouvertes sur la vingtaine disposées côte à côte autour d’une sorte de parking. Je m’arrête pour une boisson chaude et manger avant de reprendre la route pour atteindre le sommet qui apparaît si proche et pourtant toujours à une douzaine de kilomètres et 900m de dénivelé. On me dit qu’heureusement j’ai des pneus tout terrain puisque les derniers kilomètres sont en asphalte en mauvais état se terminant en chemin de pierres.
Je poursuis ma route, je franchis la barrière empêchant alors le passage des voitures. Je gravis petit à petit les lacets, croisant pourtant quelques voitures et 4×4 qui doivent probablement monter les vélos tout terrain de certains cyclistes en VTT que je croise dans l’autre sens. Je suis alors en plein milieu d’une station de ski, passant au milieu du passage des téléskis et télésièges. J’observe au loin des canons à neige. Ils me rappellent alors les récents projets insensés et destructeurs dans les Alpes françaises de rétention d’eau morte pour alimenter les canons à neige jusqu’aux portes des hôtels et satisfaire les skieurs. Plus haut, alors que j’approche du sommet et du point culminant du dernier téléski, j’observe le lac qui accompagne naturellement les canons à neige en contrebas. La route commence alors à se faire plus accidentée ; alors que je tente de passer une marche d’asphalte après un trou dans la route, ma roue avant ne parvient pas à franchir l’obstacle. Je suis déséquilibré, me rattrape en posant les pieds au sol à temps, mais je décide d’accompagner mon vélo au sol et de m’allonger puisqu’il ne me reste plus beaucoup d’énergie. Les marcheurs que j’ai dépassés quelques dizaines de mètres auparavant se précipitent pour me prêter assistance. Je leur indique alors que tout va bien, que j’avais juste besoin de souffler un peu. Des cyclistes passant dans l’autre sens s’arrêtent également pour le même motif alors que je remets mon vélo sur pied. Je reprends l’ascension, il ne me reste plus beaucoup de distance à parcourir, la route se transforme en chemin de gros cailloux assez bien tassés par endroit. Je poursuis toujours en pédalant, avec un peu plus de difficulté apportée par la nature du terrain. La pente s’intensifie un peu plus, je continue d’appuyer sur les pédales jusqu’à ce que je ne parvienne plus à fournir l’effort suffisant pour avancer. Je mets pied à terre et parcours les deux derniers virages en poussant le vélo. Le chemin s’arrête à une cinquantaine de mètres avant le pic. Si je suis arrivé jusque là, je me dois de pousser mon vélo jusqu’au sommet. Je suis applaudi par un groupe d’Espagnols me voyant arriver à bout de force.

Le temps est nuageux, cependant les nuages qui voilaient le sommet avant que je ne l’atteigne s’en sont allés et je profite d’une vue époustouflante au sommet de ce géant, dévoilant enfin l’autre flanc qui m’était caché jusqu’alors. Un groupe d’étrangers, probablement des étudiants en échange, discutent ensemble, quelques-uns d’entre-eux sont français. Je m’amuse à écouter silencieusement leur conversation.


Un groupe de quatre Allemands se rafraîchit et grignote des fruits secs au sommet. Ils sont arrivés par l’autre flanc en VTT en même temps que moi. Ils sont partis de Grenade il y a 8 jours pour suivre l’itinéraire d’une course de VTT s’étalant sur 800km. Le pic se trouve sur leur dernière étape de cette boucle qui s’achève à Grenade. Ils me demandent de les prendre en photo et me proposent l’identique en retour. J’accepte l’offre mais dans quelques minutes. Je prépare alors la scène. Je place mon vélo à côté du pilier se trouvant au sommet du pic, passe mon téléphone à un des trois Thomas du groupe, avant de faire le poirier sur la partie plane autour du pilier. Thomas immortalise le moment : j’arbore un grand sourire de découvrir la vallée plafonnant le ciel devenu mer.

Les Allemands s’en vont, je leur emboîte le pas. Ils se déplacent vite sur le chemin de pierres et me distancent rapidement. Il faisait déjà frais au sommet, je sens maintenant que je n’ai pas apporté suffisamment de vêtements pour apprécier une température confortable pour la descente durant laquelle je grelotte légèrement. Arrivé au début de la route ouverte aux voitures, je m’arrête me réchauffer avec un thé dans l’autre cahute ouverte puis profite de la vue depuis un petit pic rocheux non loin de là. Je poursuis ensuite la descente. La température s’adoucit et devient agréable. Arrivé à la route principale, je passe devant un restaurant où j’aperçois le groupe d’Allemands prendre un café. Je m’arrête discuter avec eux et c’est là que j’apprends qu’ils sont trois Thomas et un Bern.

Je reprends la route après les avoir salués pour me rendre vers Grenade. La température continue de monter et je commence à avoir chaud. Arrivé à l’auberge de jeunesse, je suis lessivé. J’abandonne mes affaires et pars me doucher immédiatement. D’abord avec une eau chaude pour délier les muscles, puis avec une eau plus fraîche pour me rafraîchir. Je contacte Pilar, l’amie espagnole de Grenade de Felipe, danseur colombien de Séville, pour fixer un point de rendez-vous pour la soirée forro du soir. Je suis alors bien fatigué et espère que la sieste que j’entame me remettra sur pied.
Je me rends au mirador de San Cristobal où Pilar doit venir me chercher en voiture : le restaurant se trouve un peu à l’écart de la ville. J’aurais pu me rendre sur place à vélo, mais vu mon état de fatigue, cela aurait été une mauvaise idée. Je me perds dans les rues étroites de l’Albacin me faisant arriver en retard sur l’horaire convenu. Heureusement, Pilar en aura plus que moi, ce qui me permet de profiter d’une vue nocturne sur Grenade. Je monte dans la voiture de Pilar, accompagné de Sarah, une autre Espagnole de Grenade, habitant à Marseille et en vacances dans la région. Nous arrivons rapidement au restaurant, quelques minutes avant que le concert ne débute. Les tables sont disposées sur la terrasse illuminée autour d’une petite scène où j’aperçois alors Tulio, l’accordéoniste de Malaga, avec qui je n’ai pour l’instant qu’échangé par messages. Natalia, la chanteuse, présente la constitution du groupe avant de commencer à chanter. Je propose à Pilar une danse, puis j’essaye de danser avec une Espagnole d’une autre table qui n’a guère envie de suivre ce que je propose et danse comme elle l’entend. Après quelques chansons, Natalia, la chanteuse, propose une petite initiation par un professeur qui battait alors la mesure de son triangle. Les gens s’assemblent autour de la scène et s’essayent aux pas que propose le professeur. On retrouve parmi les danseurs principalement des femmes manquant ainsi cruellement de guides. Fatigué de la journée, je passe une bonne partie du concert à observer les quelques personnes animées de mouvement et le groupe alternant samba et forro. Le concert touche à sa fin sans que nous nous en rendions compte, les artistes saluent puis s’attablent pour se rafraîchir et dîner.
Je profite de ce moment pour rencontrer Tulio installé avec des amis brésiliens. Je le félicite de la prestation. Je lui dis que je vais passer par Malaga en début de semaine et lui demande s’il est au courant d’une potentielle animation forro quelque part. Il m’indique un lieu pour le mercredi soir. Cela tombe bien, je pense atteindre Malaga mardi. Le concert terminé, nous retournons à Grenade terminant ma journée par une marche nocturne pour rejoindre l’auberge de jeunesse.
18 septembre 2022,
Journée de repos. Je me sens enrhumé, je pars à la recherche de gingembre, curcuma et lait végétal pour me préparer un lait doré. Je profite de la sortie pour acheter des graines de chia, des fruits et des fruits secs pour le petit-déjeuner. Je m’installe à la cuisine de l’auberge de jeunesse et me prépare le lait doré et le mélange de chia hydraté au lait végétal, fruits et graines. Je rencontre alors plusieurs voyageurs, un Colombien, un Français et un Hollandais, croisés la veille, m’ayant pris pour l’un des leurs de par ma taille. Le Hollandais, un peu plus âgé que la moyenne fréquentant les auberges, est étonné de me voir manger aussi « sainement » après avoir vu d’autres voyageurs se nourrir de pâtes au ketchup. Il nous explique qu’il a pendant longtemps voyagé en prenant des chambres d’hôtels. Préférant l’ambiance et le côté social, il a (re)commencé à voyager en auberge de jeunesse en demandant, un peu gêné, si les « vieux » étaient acceptés. Je continue d’écouter d’une oreille distraite les conversations de la salle à manger tout en profitant de ce temps de repos pour écrire.
L’après-midi passe et il est bientôt temps de me rendre au rendez-vous des danseurs. Je suis en avance à la place. J’utilise ce temps pour faire un tour de la place. Je remarque alors qu’il s’agit d’une avenue par laquelle je suis passé en arrivant à Grenade sans avoir encore de repères. Une boulangerie me permet de me restaurer et de faire le plein de miel dont ma gorge enrouée a actuellement bien besoin.
Je retourne au kiosque où je trouve deux personnes qui me semblent être des danseurs en train de discuter. Je m’approche d’eux et me présente. Je rencontre Étienne, un Parisien venu s’installer à Grenade il y a un peu plus d’un an et Natali, une Espagnole qui a été en France pendant un moment, à Montpellier si ma mémoire ne me fait défaut. Les présentations faites, Natalia, la chanteuse de la veille, arrive. Elle nous salue puis nous discutons de chose et d’autre, le temps que les professeurs arrivent avec une grosse demi-heure de retard. Pour commencer le cours, nous ne sommes que quatre danseurs : Natalia, Étienne, Natali et moi. Un des professeurs propose de prendre à part Natali qui débute pour lui enseigner la base pendant que nous nous exerçons avec Natalia et Étienne. Alors que je danse avec Natalia, une Belge au courant de l’animation arrive au kiosque et demande des informations. Natalia qui est un des moteurs du petit groupe, me laisse alors pour l’accueillir et l’informer. Je danse en attendant avec Étienne en temps que suiveur. Il débute le forro, j’aime sa façon de guider, légère et attentive. J’apprendrai par la suite que cela lui vient de la folk qu’il affectionne et pratiquait souvent en France. Alors que je danse avec la Belge, Wined, qui débute également, l’autre professeur me donne des conseils de guidage, afin d’être plus clair. Je constate alors que son approche est bien différente de celle dont j’ai l’habitude. Certes, la manière de guider qu’il me propose est plus claire et permettrait de guider plus facilement une (ou un) néophyte, mais elle me paraît un peu « brusque » et ne laisse alors plus ou que peu d’espace au suiveur s’il souhaite proposer quelque chose. Je m’exécute tout de même pour lui montrer que je suis capable de le faire et explique à Wined ce qu’il vient de me dire en portugais. Je lui apporte aussi ma vision des choses et lui explique ma façon de guider, moins mouvementée, proposant un cadre ferme. Je lui donne les clefs pour le comprendre : il faut, en face, également un cadre ferme qui permettra de percevoir plus facilement les directions données par le guide, notamment au niveau de la main éloignée du buste. Wined semble préférer ma façon de guider à celle du professeur qu’elle aura aussi bien expérimentée avec lui qu’avec moi.
L’autre professeur danse très bien, son approche est similaire. Il nous montre rapidement quelques passes puis, après quelques danses, doit se retirer rejoindre son poste de travail qui va commencer. Wined est partie depuis un moment, venue ce jour-ci plutôt en reconnaissance. Je discute encore un moment avec Étienne, Natali et Natalia toujours présents. Natalia finit par devoir se retirer ; intéressée par ma démarche autour des communautés de danseurs de forro, elle me demande mon contact qui l’intéresse dans le cadre de son doctorat. Ne restent alors plus qu’Étienne et Natali. Étienne a apporté son accordéon pour pratiquer après le cours, il commence à jouer les trois morceaux de forro qu’il connaît. Je danse alors avec Natali qui se débrouille déjà très bien, notamment grâce à la folk dont elle est aussi une adepte. Étienne enchaîne sur une variété de rythmes de folk, qu’il a dans son répertoire, que je danse avec Natali qui me rappelle ou apprend les pas. Nous irons jusqu’à faire une variante du cercle circassien permettant de le danser à deux. Après de nombreuses danses, dont une valse tournoyante, il est temps de se quitter, le sourire accroché au visage. Sachant que je vais ensuite à Malaga, Étienne me parle d’une jeune Allemande, adepte du forro, dont on lui a passé le contact et qui s’installe tout juste à Malaga pour un échange universitaire.
19 septembre 2022,
Il est temps de quitter Grenade. Je prépare mes affaires et charge mes sacoches sur mon vélo. Je rejoins l’appartement d’Amadeo pour procéder aux adieux. Il descend et me demande si nous prenons une autre photo ou s’il m’imprime en souvenir la photo prise à la casita verde de Guillermo à Castellon de la Plana. Je choisis la seconde option mais nous nous prenons tout de même en photo pour l’envoyer à Guillermo. Nous nous embrassons chaleureusement puis j’appuie sur les pédales avec un dernier signe de la main.

Je me dirige vers Alambra de Granada que j’ai initialement prévu comme arrêt entre Grenade et Malaga. Après avoir passé une vallée, j’attaque les côtes qui me mène à Ville, un joli village coincé dans une autre vallée étroite. En chemin, je fais le plein d’amandes fraîchement cueillies sur les arbres. Je m’arrête plus loin apprécier la vue depuis un lacet avant de descendre au village. J’ai pour idée de déjeuner sur place mais je ne trouve aucun commerce ouvert.

Je poursuis alors jusqu’à Alambra qui se trouve de l’autre côté de cette vallée, l’ascension me paraît longue avec la faim qui commence à se faire sentir. J’arrive enfin à Alambra, passant devant des panneaux indiquant des thermes quelques centaines de mètres avant l’entrée de la ville. Je m’arrête au premier restaurant ouvert et m’installe pour déjeuner.
Repu, je continue de monter jusqu’au centre ville. Je me sens fatigué, je repère sur ma carte un étang de petit barrage où j’espère pouvoir me baigner et me reposer. Malheureusement pour mon idée de baignade, l’étang est entouré d’une belle végétation et peuplé de sorte de roseaux et de cannes. Un chemin mène à une aire de « récréation » offrant un espace relativement plat ombragé de pins et peupliers. L’endroit est paisible, j’entends un chien aboyer au loin et les battements d’ailes de canards sauvages qui profitent de l’étang. Je décide pour la première fois depuis le début de mon voyage, de sortir le hamac pour une sieste sous les pins. La température est agréable et je suis si fatigué que je m’endors rapidement, bercé par de légères brises.

Je me réveille deux heures plus tard. Il est 18h, je range mon paquetage et reprends la route. J’emprunte une piste qui monte dans la montagne, d’abord ombragée par un sous-bois puis plus ouverte à mesure que je grimpe. Ces montagnes sont belles et semblent être un juste équilibre entre les quelques présences humaines et la nature, conservant ainsi son côté sauvage. Arrivé à une bifurcation, je peine à me repérer, ne sachant quelle piste j’ai empruntée pour me retrouver à cette bifurcation et me pensant sur la mauvaise. Je décide de prendre à gauche puisque je crois m’être écarté de la direction que je suis sensé prendre. Un peu plus loin, je trouve l’indication d’une zone de camping qui m’aide à me repérer. J’étais sur la bonne piste avant la bifurcation, cela me rassure, m’évitant ainsi un gros détour. Je dois donc faire demi-tour pour me remettre sur le bon chemin.
J’atteins le col de col. Je poursuis sur ce haut plateau jusqu’à Venta Zaffara, du nom d’un autre col un peu plus loin. J’imaginais dormir à côté de cette petite ville mais la zone ressemble aux plaines de Murcia, très cultivée et ne m’attire aucunement pour passer la nuit. Je m’arrête faire le plein de victuailles dans un supermarché avant de me remettre en route et de franchir le col de Zaffara, à quelques mètres de dénivelé plus haut. J’entame alors une rapide descente en direction de Verez Malaga couvert de ma veste de cycliste légère. Le choix de la zone de bivouac s’arrête sur le lac de barrage de Vinuela. J’accroche mon hamac à deux eucalyptus, non loin d’une zone dégagée où sont installés barbecue et banc alors que la nuit tombe. Je mange un partie de mes provisions et décide de me doucher dans le lac. En m’approchant de celui-ci, je constate que la berge est vaseuse. Je trouve une pierre qui dépasse de l’eau sur la berge où je décide de me percher pour me laver en me jetant de l’eau sur le corps afin d’éviter de remuer le fond et de me retrouver plein de vase.