Carboneras – Las Negras


8 septembre 2022

Je commence ma journée par une baignade après une nuit bien mouvementée. Je m’installe ensuite prendre le petit déjeuner dans un chiringuito que m’a indiqué le vendeur d’artisanat sur la plage la veille. Je contacte son ami qui voulait absolument me donner des aliments. Il me dit de le rejoindre dans un café de la ville. Je finis par trouver l’adresse et l’homme attablé attendant d’être servi. Il me présente un sac rempli de boîtes de conserves, de galettes et bocaux de légumes type macédoine. C’est une quantité bien trop importante à transporter pour moi. Je lui dis alors que je vais prendre les galettes et les quelques boîtes de pâté qu’il m’a apportées.

Il me dit que je dois partir avec tout ce qu’il m’a apporté puisque c’est de la nourriture qu’on lui donne, ayant le statut de personne en difficulté, financière j’imagine. Il me dit que lui ne la consommera pas, ce ne sont pas des aliments qui semblent lui plaire. Cependant, s’il ne se débarrasse pas d’une manière ou d’une autre des aliments qui ne l’intéressent pas de l’aide alimentaire qui lui est apportée, il ne bénéficiera de plus rien, dont par exemple, les fideua, plat de pâtes, qu’il consomme. Il me dit alors de tout prendre et de jeter ce qui ne m’intéresse pas, mais plus loin, pas à Carboneras pour éviter toute suspicion. Je constate effectivement que les bocaux de légumes sont étiquetés comme interdits à la vente et destinés à l’aide alimentaire.

Je me retrouve alors chargé de plusieurs kilos d’une nourriture qui ne me servira qu’en petite partie. Je me souviens alors avoir vu un homme dans la rue, face au supermarché, qui pourrait avoir besoin de ce que j’ai maintenant en ma possession. Je le retrouve et lui propose les 4 boîtes de conserve de saucisses à hot-dog. Il ne veut pas des lourds bocaux de mélange de légumes. Il est coincé sur place à ne pas pouvoir se déplacer à cause de ses deux pieds enflés avec son chien. Je lui souhaite bon courage et reprends ma route.

J’arrive à Agua Amargua où je cherche comment me débarrasser des bocaux. Je tente d’abord dans une épicerie, puis finis par demander à une jeune femme dans une petite cabane d’information touristique le long de la route. Elle me dit qu’ici je ne trouve rien ni personne susceptible d’avoir besoin de cela, cependant, à las Negras où je pense me rendre, je trouverai à coup sûr des personnes intéressantes : il se trouve à quelques kilomètres plus loin une sorte de petit village de hippies, San Pedro, vivant dans des grottes ou vieilles bâtisses. Lola me conseille de faire un tour à las Negras, elle m’indique un endroit qu’elle apprécie fréquenter pour boire un verre et me conseille de faire un tour à San Pedro. Je discute encore un moment avec elle, entrecoupé par des touristes en quête d’informations, puis reprends mon chemin avec son contact : connaissant bien la région elle pourra me conseiller d’autres endroits.

Arrivé à las Negras, je trouve l’adresse qu’elle m’a indiquée, un tout petit bar situé en face de la mer, sous la terrasse d’un restaurant juste au-dessus. Des tables sont disposées à l’extérieur sous de petits parasols. L’ambiance est animée de rock espagnol intéressant. Je m’installe pour une bière au citron et quelques croquetas en guise de tapas. Je recommande une portion de tapas que je complète avec mes réserves de nourriture. Je profite ensuite de la mer dont l’eau est très fraîche, puis entre dans la supérette du village pour acheter de quoi faire un pique-nique complet avec ce qu’il me reste de la nourriture que l’on m’a donnée. En sortant de la supérette, je tombe sur deux Allemands aux allures de hippies. Je demande à l’un deux si mes conserves de légumes l’intéressent. Il les observe un instant, les prend puis s’en va. Me voila enfin débarrassé de ce poids mort. L’autre Allemand engage la discussion avec moi. Il me dit qu’il veut rejoindre San Pedro où il habite et espère pouvoir se faire emmener en bâteau puisqu’il est chargé de gros sacs plastique pleins de nourriture.

Je lui dis que j’imagine aussi me rendre sur place mais que je n’ai aucune idée de comment, ni s’il est possible de dormir sur place. Il me dit alors que pour dormir il n’y a aucun souci, que je trouverai et me propose de l’accompagner jusqu’au morceau de plage d’où partent les bâteaux pour San Pedro : on m’a indiqué à plusieurs reprises que je ne pourrai pas passer avec un engin aussi chargé. Je trouve une place dans un zodiac pour San Pedro, l’homme me dit qu’il me fera payer le prix de deux passagers pour me rendre sur place, vu l’encombrement du vélo. Il n’accepte pas de prendre mon ami allemand dans le zodiac, mais propose que j’emmène la charge du bonhomme avec moi afin qu’il puisse rejoindre San Pedro délesté de son poids. Nous convenons de nous retrouver sur la plage puis nous chargeons le vélo dans le bâteau. J’arrive sur la plage de San Pedro, bien fréquentée, bon nombre de gens sont nus sur la plage, allongés à l’ombre ou au soleil. Un château se dresse à l’entrée, à l’ouest de cette sorte de cirque entourée de falaises rocheuses. L’endroit est plutôt vert, alimenté par une ou plusieurs sources coulant du relief. Quelques petites maisons cabanes font face à la mer, bien intégrées dans la végétation environnante. Je me promène sur la plage en attendant mon ami hippie, Dizen. Je trouve un robinet au-dessus d’un lavabo en mosaïque laissant couler l’eau de source à côté d’un bâtiment de pierre assez haut.

Plage de « San Pedro »

Dizen finit par arriver, il m’indique de le suivre, nous allons rejoindre Tobi, un autre Allemand de San Pedro. Nous le retrouvons sous un caroubier aménagé en lieu de vie ouvert. Il faut d’abord passer un sentier étroit sur quelques mètres entre des arbustes qui semblent morts. On arrive sur un petit espace cultivé, dont le sol est jonché de caroubes, puis, plus loin, sur l’espace de vie en terre battue, où deux poules se promènent librement. Tobi est assis dans un canapé en bois en train de fumer, probablement du cannabis, si ce n’est du haschich. Dizen présente victorieux ce qu’il a ramené de son escapade : il s’est rendu à pied et en stop à San José, à une bonne trentaine de kilomètres, puisqu’il a une blessure à la jambe qui commence à s’infecter et nécessite un traitement. On lui a appliqué un bandage et fourni des antibiotiques, mais pas suffisamment pour suivre le traitement jusqu’au bout. Il devrait répéter l’opération le lendemain pour trouver le reste des antibiotiques dont il a besoin. Tobi pensait qu’il n’arriverait jamais à rentrer le jour même et encore moins avec autant de provisions : il a avec lui de beaux morceaux de poulets, une demi pastèque rouge et une autre moitié d’une jaune, des pâtes, de la farine, du fromage, ainsi que quelques légumes. Il prévoit de réaliser des pizzas avec Tobi. Ils vivent tous deux dans des cavernes plus loin dans la montagne ; ce lieu appartient à un autre Allemand parti quelques temps en Allemagne, Tobi s’occupe donc des poules en cette période.

Il y a un petit four en terre crue sur l’espace de vie que Tobi a construit récemment. Il commence à s’affairer pour la confection des pizzas en allumant un feu dans un autre foyer pour préparer et faire chauffer la sauce tomate. Il m’indique que je peux dormir ici, sous le caroubier où est déjà suspendu un hamac, si je le souhaite. Je pars donc chercher mon vélo que j’achemine tant bien que mal au caroubier en traversant l’étroit chemin de branchage. Au bout d’un moment, la clarté commence à diminuer, Tobi commence à s’énerver puisque nous n’avons pas de lumière. Je propose calmement d’utiliser mon téléphone posé sur une branche comme une lampe. Dizen, quant à lui, s’éclipse rapidement en disant qu’il a une solution. Il revient quelques minutes plus tard avec une petite lampe qu’il a empruntée à des touristes auxquels il a promis une pizza en échange de quelques euros. Une fois le four en terre crue suffisamment chaud, Tobi enfourne la première pizza dans un plat métallique, plus facile à manipuler que de poser la pizza directement sur la sole. Elle est rapidement cuite et nous nous régalons. La deuxième pizza arrive vite et est destinée aux touristes. Nous la coupons en morceaux et Dizen l’apporte dans des barquettes en carton avant de revenir quelques minutes plus tard.

J’apprends entre-temps que Tobi est à San Pedro depuis 2002, donc depuis 20 ans. Il est grand, à peu près ma taille, légèrement voûté et a des airs de « sauvageon ». Il parle peu et alimente rarement la conversation. On sent qu’il a l’habitude de vivre seul et de manière autonome, s’activant dans son coin, ne sachant difficilement quoi proposer lorsqu’on lui offre de l’aide. Moi qui ai découvert la caroube récemment, je me dis que c’est une chance d’en bénéficier d’une quantité aussi importante, là où Tobi est fatigué de cet aliment qu’il a beaucoup trop consommé, cru, cuisiné sous forme de farine qu’il produit en broyant les fruits avec un vieux moulin à viande métallique. Un personnage singulier et intriguant.

Lorsque Dizen revient, la troisième pizza est déjà prête, il faut maintenant s’atteler à la préparation du poulet qui, en l’absence de réfrigérateur, va rapidement se gâter. Nous coupons de gros morceaux de légumes que nous plaçons dans une casserole avec le poulet, assaisonnés de curry, sel et huile d’olive. Le tout est enfourné et nous laissons mijoter un long moment. Pendant la cuisson, Dizen s’en va chercher du cannabis chez un autre Allemand de San Pedro. Une fois de retour, Tobi prépare sa petite pipe artisanale en sorte de bambou qu’ils se font passer. Dizen me propose de fumer mais je refuse. Il commence alors à parler de son dernier trip au LSD et m’explique que son occupation principale sur place est de se sustenter et de fumer, le peu d’argent supplémentaire qu’il viendrait à gagner est dépensé aussitôt en cannabis à partager avec qui en aura envie puisque l’argent ne l’intéresse pas. Les deux compères font bien la paire, Tobi est apte à vivre seul dans la nature, tandis que Dizen, de par son côté très sociable, est plus apte à la vie de ville ou village et fait le pont entre les deux mondes, apportant à Tobi ce qui lui manquerait sur place, et inversement, Tobi permet à Dizen de vivre plus confortablement là où les compétences manuelles nécessaires à une telle vie lui feraient défaut. Tobi s’en va, suivi par Dizen quelques temps plus tard qui part se coucher. Avant de s’en aller, Dizen me dit qu’il est rassuré que je sois toujours là et que Tobi ne se soit pas trop énervé lorsqu’il est parti chercher la lumière, ayant peur qu’il ne m’effraie.

Je pars faire mes besoins puis je rejoins la plage pour une balade nocturne avant de me coucher. Je tombe alors sur un petit groupe de gens jouant de la musique. Je suis attiré par le guitariste qui chante alors en portugais brésilien de la samba ou autre bossa nova, accompagné à la flûte traversière par un homme aux cheveux longs autour du cercle. Je m’approche, on me propose de rejoindre le groupe et je profite de l’ambiance musicale un long moment avant de rejoindre mon hamac.


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