1er septembre 2022
Je découvre la rivière où je me suis lavé la veille à la lumière du jour. Le son de l’eau s’écoulant à bonne vitesse sur le lit de pierres est un agréable réveil. Je remonte la côte qui m’a mené à mon emplacement de bivouac. Le dénivelé est important, la journée commence par un mise en jambe intense.

Je m’arrête un peu plus loin où j’imaginais initialement passer la nuit, au bord du lac. Deux jeunes pêcheurs sont installés sur une pelouse non loin de leurs cannes plantées sur la berge. Je me déshabille et m’immerge pour quelques brasses. Je traverse le lac jusqu’à une autre berge à une bonne centaine de mètres au loin. Sur celle-ci se trouve nombre de troncs d’arbustes, probablement noyés par le lac de barrage.

Je reprends la route un peu avant 11h ; le relief me présente de nouvelles pentes à fort dénivelé sous un soleil de plomb. J’arrive au village de Planes, quelques kilomètres plus loin, en nage, et je décide de m’arrêter pour un « almuerzo ». Le sandwich que l’on me sert est bien consistant et vu la température actuelle, je décide de m’attarder dans le petit bar pour écrire et organiser mes photos.
Je me remets en route en direction d’Alicante. Je traverse un paysage montagneux verdoyant, je collecte à plusieurs reprises des caroubes que m’offrent les quelques arbres qui poussent le long de la route. Je ramasse également des amandes, tantôt sur des arbres manifestement sauvages, tantôt dans de petits champs.

Je passe Benifallim, au pied du col du même nom et je recharge ma réserve d’eau à la fontaine du lavoir pour l’ascension. Je découvre que dans cette région les cols sont appelés « puerto », un panneau indique le relief qui présente le dénivelé maximum à chaque kilomètre, ainsi que la moyenne. Je viens à bout de l’ascension un peu après 18h, il me reste encore de nombreux kilomètres à parcourir pour rejoindre El Campello. Heureusement je suis à 1000m d’altitude et la distance restant à parcourir me ramène au niveau de la mer, m’offrant presque uniquement un dénivelé négatif. Je ne sais alors pas encore si je tente de me rendre à l’adresse que m’ont indiquée les habitants de Vilarcangel : je ne sais pas comment je serais accueilli ni si je pourrai dormir sur place. J’entame la descente vers Jijona à bonne allure dans l’objectif d’atteindre El Campello.

Quelques kilomètres avant d’atteindre Jijona, je sens un début de crampe dans la jambe gauche. Je m’arrête un instant pour m’hydrater et attendre que passe la crampe. Je trouve quelques centaines de mètres plus loin une vigne qui longe la route, garnie de grappes aux grains noirs, énormes et parfaitement sphériques, c’est exactement ce dont j’ai besoin à ce moment même : du sucre et de l’eau. Le raisin est tellement beau et bon que je ne peux m’empêcher de repartir avec deux grappes dans mes sacoches, qui me serviront à nouveau en cas de difficulté.
Passé le versant sud du col de Benifallim, je remarque déjà un changement de végétation, mais c’est en arrivant au niveau de Jijona que je sens réellement que j’entre dans une zone aride peu à peu déserté par les arbres, laissant place à de petits buissons au milieu d’un sol sableux et rocailleux. Je commence à apercevoir le long de la route de grandes exploitations maraîchères, s’étalant parfois sur des kilomètres, totalement recouvertes de tissu plastique blanc ou de couleur claire, virant parfois au marron clair avec le dépôt de sable s’installant sur ces sortes de serres gigantesques. Je continue mon chemin à bonne allure. Je bifurque sur la CV-774 pour rejoindre El Campello par une route qui me paraît moins fréquentée. Cela m’oblige à franchir à nouveau quelques côtes jusqu’à Busot puis j’entame ma dernière descente vers El Campello. Je marque alors une pause pour observer un soleil qui tire sur le couchant, sortant d’une chape nuageuse épaisse et baignant cette zone aride de teintes de jaunes incroyables.

El Campello, je ne connais pas l’adresse du lieu que je recherche. J’en trouve une sur internet mais qui me paraît incorrecte. Je m’arrête alors sur une place et demande mon chemin à deux dames assises sur un banc avec une fillette d’une petite dizaine d’années. L’une d’elle semble connaître le lieu : « La Mezquita » ou la mosquée en français. Elle me montre un chemin proposé par son GPS mais choisit de suivre de grands axes qui me faciliteront la navigation. J’arrive enfin à la Mezquita aux alentours de 20h. Je sonne à la porte d’entrée, attends quelques secondes, puis un homme torse nu m’ouvre. Il n’a pas l’air très éveillé. Je lui demande si je peux entrer avec le vélo, il me répond positivement. Je rentre alors le vélo dans la grande cour extérieure où sont disposés canapés, fauteuils et hamacs. Je lui explique que les habitants de Vilarcangel m’ont envoyé ici. Il ne semble pas reconnaître le lieu dont je parle et avoir du mal à suivre ce que je raconte. Il m’invite à le suivre à l’intérieur, je rencontre alors Jake, qui me demande si je connais le lieu. Je lui explique que non et que ce sont des amis qui m’ont indiqué l’adresse. Il me dit alors qu’il faut que je procède à une inscription pour adhérer à la structure. J’imagine alors qu’il s’agit d’une association et qu’il faut adhérer pour consommer pizza, thé, soda et autres aliments que je vois affichés au-dessus de ce qui semble être un bar. Un fois l’inscription faite et la cotisation d’une dizaine d’euros payée, il me dit que maintenant je peux choisir ce que je veux. Il commence à ouvrir une petite armoire en bois cadenassée d’où apparaissent des bocaux emplis de nombreuses variétés de cannabis. Je comprends alors que j’ai atterri dans une sorte de coffee shop. Je lui explique que je ne fume pas, explique que ce sont les habitants de Vilarcangel qui m’ont indiqué de venir ici et que je cherche simplement un endroit où passer une nuit ou deux. Il s’excuse en me disant qu’il ne savait pas que je connaissais l’orangeraie et ses habitants qu’il connaît et demande à l’homme qui m’a ouvert, Dani, si cela est envisageable. Il revient me voir en me répondant affirmativement, je devrais pouvoir dormir sur les canapés qui se trouvent à l’intérieur ou bien sur un matelas rangé derrière une table le long d’un mur.
Le lieu est très agréable et semble très tranquille, éclairé par des lumières chaudes et douces, décoré de nombreux instruments pouvant servir à la pratique du yoga. Je lis écrit quelque part qu’il semble se passer des retraites ainsi que différents ateliers de yoga. Dani me propose de l’eau citronnée et Jake me demande si j’ai faim. Je leur réponds positivement et Jake m’apporte une assiette de riz type « paella » cuisinée par Dani. Entre-temps, une jeune femme sonne et entre après que Jake lui ait ouvert. Elle semble très sympathique, j’observe un tatouage sur son bras qui m’interpelle : Ubuntu. Je lui demande si je peux voir son bras pour être certain de ce que j’ai lu et elle me dit qu’il ne s’agit pas là d’une référence au système d’exploitation. Elle poursuit en me questionnant à propos de mon voyage après avoir choisi sa marchandise auprès de Jake. Je m’éclipse pour me doucher, chose que je n’ai pas encore eu le temps de faire. Au retour, Jake a sorti un paquet de chips et me propose une bière autour du bar qui donne lieu à une sorte d’apéro improvisé en compagnie de la jeune femme habituée du lieu. Je sors de mes provisions les grappes de raisins que j’expose sur le bar pour les partager.
Il se dessine une jolie ambiance tranquille et bienveillante. J’ai les traits tirés par l’effort mais je suis heureux de prendre part à ce moment. Un peu plus tard dans la soirée, la sonnette retentit, Jake ouvre à un groupe de trois Français. L’un d’eux parle un espagnol basique avec un fort accent, tandis que les deux autres non. Ils sont venus manifestement consommer la marchandise qu’ils prennent le temps de choisir auprès de Jake. Très mauvais en langue étrangère, je sers parfois d’interprète pour certaines choses qu’ils peinent à exprimer. Une fois satisfait, ils partent d’abord s’installer sur les canapés à l’intérieur pour fumer puis à l’extérieur vu la température. Nous continuons à discuter à l’intérieur, le lieu finit par se vider petit à petit, Jake me laisse seul en compagnie de Dani qui m’indique un canapé clic-clac où je peux dormir puis me laisse seul dans la grande salle ouverte.