Molégès – Montpellier


20 juillet 2022,

Je me réveille d’une nuit bercée par le vrombissement d’une pompe d’irrigation thermique arrosant les cultures fruitières de la zone, j’ai traversé la veille des champs de pruniers, cognassiers et pommiers. Je déjeune et range promptement mes affaires : la route est longue, je vise Montpellier qui se situe à 110km de l’endroit où je dors, puisque ce soir les Montpelliérains forrozeiros se retrouvent sur la place Dionysos pour danser. Je commence mon trajet par un arrêt à Saint-Rémy de Provence où je remplis ma poche à eau dans une boulangerie. Je remplis mes sacoches de quiche, pain et croissant pour la route.

Tarascon, je n’ai plus beaucoup d’argent liquide, je m’arrête en retirer et me rends compte que ma béquille prend du jeu. Je l’inspecte et constate qu’elle est en train de se dévisser. Je sors mes outils et resserre les vis avant de repartir.

Après passage côté ouest du Gard, j’entre petit à petit dans les zones humides de la région laissant place à des paysages marécageux où les rizières remplacent désormais les champs. Malgré la chaleur, les températures sont agréables, abaissées par l’humidité ambiante. A l’arrivée à Arles, j’éprouve quelques difficultés à traverser la nationale 572 traversant la ville. Une fois de l’autre côté j’entre progressivement dans le parc régional de la Camargue, empruntant un petit axe routier peu fréquenté. Je trouve toutes sortes d’oiseaux, pataugeant dans les rizières, parfois perchés à dos de cheval.

Héron sur cheval au milieu d’une rizière

Après un long moment passé sur cette jolie route, je rejoins un axe plus fréquenté. J’atteins finalement un village du nom d’Albanon que je m’étais fixé comme objectif pour la pause déjeuner. Finalement ne trouvant rien de charmant ou intéressant sur place je passe mon chemin et me dirige vers Sylvereal. Non loin de ce hameau, je passe devant une sorte de corps de ferme flanqué d’une petite cahute, où l’on vend des fruits comme on peut le voir fréquemment le long de la route. Celle-ci me plaît, elle semble être animée par ce qui doit être des saisonniers en pause. Je m’arrête donc.


J’entame la discussion avec un jeune homme qui me confirme qu’ils sont là pour la saison : ils sont venus procéder à la récolte, au tri et à la manutention de centaines de melons et pastèques produits sur place. J’apprends qu’il s’agit d’une grande exploitation familiale qui inonde la Camargue de ses melons bio et maintenant la France grâce à un contrat récent avec Grand-frais. Ils produisent également courgettes, pommes de terre et riz. Tout n’est pas bio mais la grande majorité de la production, à savoir melons et pastèques le sont. Évidemment, la vente directe de ces produits reste anecdotique mais sert de vitrine et permet de conserver un contact avec les consommateurs. Je m’installe sous cette cabane après accord de l’un des saisonniers et commence mon pique-nique par de belles tranches de melon et pastèques agrémentées d’une limonade bien fraîche.

Je discute vélo avec l’un des saisonniers qui possède un vélo de route en pignon fixe ; venant de la région d’Avignon, il me dit qu’il a gravi le Ventoux avec. Les autres saisonniers le pensent fou puisqu’il trouve encore l’énergie, après une journée de travail, de faire un aller-retour à Aigues Mortes. Je discute avec une ancienne, manifestement étrangère par son accent prononcé. Elle est portugaise, nous commençons donc à échanger en portugais. Elle est saisonnière, son mari travaille à l’année sur l’exploitation. Il s’occupe de l’irrigation, il ne peuvent donc prendre de vacances en cette période critique pour les plantations. Ils profitent ensemble plutôt de l’automne et l’hiver pour se rendre au Portugal. Mon chemin passant par là, elle me conseille de me rendre à Aveiro, une petite ville charmante. J’apprends aussi que les Portugais sont, a priori, très accueillants, un peu moins depuis le covid mais toujours plus qu’en France selon elle.

14h, la pause se termine, la majorité des saisonniers retournent s’affairer aux champs. Un seul reste sous la cabane pour vendre rafraîchissements, fruits et légumes aux passants. En attendant que le soleil passe, je m’installe à une table pour écrire un peu. Je reprends la route une bonne heure plus tard. J’arrive rapidement à Aigues Mortes où je ne m’attarde point puisqu’il me reste une bonne distance à parcourir jusqu’à Montpellier. Sur la piste cyclable en sortie de la ville, direction le Grau du Roi, je tombe sur l’enseigne de la baleine, bien connue pour son sel que l’on retrouve dans tous les rayons des commerces. J’en conclus que je dois me trouver au beau milieu de marais salants.

« La baleine »

La piste cyclable menant au Grau du Roi est belle, je me retrouve sur une sorte de digue entourée par quelques arbustes, puis par l’eau des marais. J’aperçois au loin la petite ville que je rejoins rapidement. Cette petite ville a l’air sympathique, plus que la Grande Motte que je traverse ensuite qui me semble plus riche et emplie de pavillons de vacanciers. C’est finalement les petits et grands travers que je trouverais le plus intéressant sur cette portion malgré la forte fréquentation de ceux-ci. Les travers sont de petits chemins traversant une bande de verdure, protégée pour la biodiversité qu’elle héberge, menant jusqu’à la mer. Je ne m’attarde guère et me dirige vers Montpellier où j’ai repéré un camping qui devrait faire l’affaire pour la nuit.

Piste cyclable du Grau-du-Roi

Arrivé au camping, je monte mon hamac, prend une douche, me débarrasse de mes affaires et file en ville pour rejoindre les danseurs montpelliérains qui se donnent rendez-vous le mercredi sur la place Dionysos. Je rencontre Ricardo et sa compagne dans une ambiance musicale, évidemment, de forro. Ricardo, qui est brésilien, finit de monter son petit « stand » constitué de deux tables où repose son ordinateur et de quoi préparer des Caïpirinha. Un estanco où se préparent sandwichs, burgers accompagnés de frites fait face à l’installation. Je commande de quoi me restaurer et m’attable avec Ricardo et sa compagne autour d’une longue table autour de laquelle les forrozeiros commencent à arriver.

J’échange avec un Montpelliérain installé récemment et qui découvre tout juste le forro. Comme j’ai pu l’entendre plusieurs fois, il est aussi de ceux qui apprécient le forro pour la communauté qu’il fédère, avec beaucoup de bienveillance et d’écoute. Est-ce que cela viendrait de l’écoute et de l’attention nécessaire à la pratique pour toucher du doigt la beauté, la complicité, la connexion et les moments émotionnellement forts que peut susciter cette danse ? Helena, mon contact, arrive enfin, c’est une Catalane, fine, qui semble pleine d’énergie, très amicale et manifestement contente de ma venue. La table est animée mais personne ne s’est encore décidé à danser. Après une bonne Caïpirinha, je me décide alors d’ouvrir le bal et entame une jolie. Après quelques danses le parquet me laisse une écharde dans l’orteil, je préférerai donc par la suite le béton lisse de la place au parquet.

Je passe de beaux moments avec plusieurs danseuses, qui m’en apprennent un peu plus sur la communauté locale. Je découvre que les Lyonnais semblent affectionner Montpellier puisqu’un couple de forrozeiros, que je dois probablement connaître, est venu la semaine passée. Je me fais guider par un danseur qui a quelques bases et nous discutons longuement de choses et d’autres en statique ou en mouvement. Je danse avec Helena dont le style léger correspond bien à ceux que j’affectionne. Puis avec une Parisienne de passage connaissant bien Ricardo qui habitait Paris par le passé, elle danse très bien et commente certains pas.

Plus tard dans la soirée, une grande femme aux cheveux ondulés arrive, l’aura qu’elle dégage retient mon attention. Alors que je suis en train de danser, j’ai la sensation que nos regards se croisent. Pris par d’autres danseurs, quand mes pieds ne sautillent pas, je finis tout de même par pouvoir l’inviter. Je sens dans son étreinte que nos corps s’assemblent. J’apprécie beaucoup les quelques danses que nous partageons. M’invitant cette fois-ci à danser, je lui propose de me guider. Elle accepte et je découvre que je préfère quand elle me guide, j’ai la sensation d’être encore plus à l’écoute et les mouvements subtils qu’elle propose me transportent.

La soirée touche à sa fin, les derniers danseurs se saluent puis je reprends le chemin du camping. Arrivé là-bas, je grignote une tartine de miel à la lueur de mon téléphone. Mon voisin d’emplacement passe me voir et me demande si j’ai assez de lumière. Je lui fais signe que oui et pars me coucher une fois mes affaires rangées. Au bout de quelque minutes à 00h30, il commence un appel téléphonique. Il parle fort, en portugais, j’attends un moment, puis me lève pour lui demander s’il peut baisser la voix. Je retourne me coucher et quelques secondes plus tard, le temps que cela fasse le chemin jusqu’au cerveau, il vient me voir dans mon hamac et me dit « C’est toi qui es venu me parler ? » « Qu’est-ce que tu me veux ?» Je lui dis que je souhaitais simplement qu’il abaisse le ton de sa voix pour que je puisse dormir. Il me rétorque que cela fait 4 ans qu’il est ici, qu’il parle comme cela, que ses amis le connaissent ainsi, qu’il ne peut rien faire à sa voix, qu’il continuera à parler, que lui aussi est fatigué tout en haussant le ton et en s’énervant à moitié. Ma demande aura peut-être l’effet inverse que celui escompté, puisque je l’entends grommeler longuement en portugais « mais pour qui il se prend ce type dans… dans son truc… son sac… son hamac » avec l’autre personne au bout du fil. Je finis par m’endormir à moitié puisque cela dure jusqu’à environ 2h du matin puis m’endors réellement.


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